dimanche 24 juillet 2016

Un Cœur Brumeux


心靜气動
Un cœur calme pour des vapeurs en mouvement

二振气,三安和
En second réveiller les vapeurs, en troisième le calme et la paix*




Les deux principaux piliers des arts internes sont le cœur et le Qi, les émotions et la vitalité. Si on devait décrire un niveau d’interne élevé, bien que les arts martiaux aient peu de choses à voir avec la méditation, ce serait à travers deux postures du lotus. La première serait celle d’un artiste martial à midi, au milieu d’un été très chaud, dans une chambre très étouffante.

Il serait assis dans la posture du lotus avec un pantalon et une veste à manches longues, des chaussettes et des chaussures. Ses yeux seraient grands ouverts tandis que ses mains seraient jointes au niveau de l’estomac, ses bras touchant le corps. Il ne transpirerait pas, pas même un peu. Les caractères, 靜, calme, 心, cœur, et 守, garder, décriraient ce qu’il est en train de faire. Le second serait au cœur de l’hiver, au milieu de la nuit, en plein blizzard. Il serait assis dans la même posture, en short et T-shirt, sans chaussure et sans chaussette. Ses yeux seraient mi-clos, et ses mains seraient posées sur chacune de ses cuisses, séparées, ses doigts largement écartés, ses bras aussi éloignés que possible du corps. Autour de lui la neige aurait fondu, et de tout son corps et ses vêtements s’élèverait de la vapeur. Les caractères 動, bouger, 气, vapeurs, and 展, déployer, décriraient ce qu’il est en train de faire.
Le premier lotus représente évidemment le calme ou l’absence d’émotion qu’un artiste martial recherche. La seconde, la chaleur qu’il peut créer afin de générer le plus de vitalité possible. Il est aussi intéressant de remarquer que l’une des techniques utilisées, le souffle interne ou 息 [xī], est supposée calmer et mobiliser les organes en même temps, l’un des paradoxes les plus importants à résoudre pour un artiste martial.




Émotions

La vitalité à travers le Qi étant au cœur des pratiques internes, la première chose qu’un artiste martial doit apprendre n’est pas comment produire plus pour consommer plus, selon la devise de nos sociétés de consommation actuelles, mais comment en conserver autant que possible. Les émotions, parce qu'elles épuisent le Qi, sont ce qui doit être réduit, si ce n’est rendu totalement inexistant, afin d'économiser le plus de vitalité possible. Être sans émotion était aussi, évidemment, un moyen de combattre, d’essayer d’atteindre le vide pour devenir comme une machine. Les émotions étant associées aux organes dans la médecine chinoise, le principal travail pour devenir dépourvu d’émotion portait sur ceux-ci. L’entraînement était à la fois interne, nettoyer et équilibrer les organes, et externe, apprendre à garder les organes éloignés de toute sensation. En effet, les émotions sont créées par les organes eux-mêmes, leur état ou leur déséquilibre par rapport aux autres (ce que nous appelons souvent un trait de personnalité, comme le fait d’être prédisposé à la colère, l’anxiété ou la dépression), ou sont engendrés par nos cinq sens, par les stimuli extérieurs.

Nettoyer et Équilibrer
Le nettoyage était effectué grâce à un régime équilibré, en évitant les produits trop addictifs, et en chauffant les organes au travers d’exercices, afin de se débarrasser des toxines accumulées pendant la journée. L’idée était de les rendre aussi propres que possible, le goût de la sueur étant un moyen d’en juger (ceci sera développé dans un prochain billet). Ainsi, s’entraîner le matin juste après le réveil et avant de manger était considéré comme l’une des meilleures façons de s’auto-nettoyer de façon interne. L’équilibrage était principalement fait en s’assurant que les organes étaient à leur bonne place, "五臟六腑,個按其位", ce qui était fait essentiellement en s’entraînant à avoir un estomac plat comme cela a été décrit avant (voir Santé).

Sensations
Les sensations créent des émotions, soit par les stimuli qu’elles procurent au corps, soit par le désir auquel peut mener leur absence. Autrefois il s’agissait tout d’abord d’avoir le bon environnement pour s’entraîner, reclus et loin de toute tentation. L’élève devait nettoyer, équilibrer et renforcer ses organes, d’abord par des étirements poussés des lignes de fascias (voir l’exemple du Foie et de la Poigne dans Santé), et ensuite par toutes sortes d’exercices y compris secouer, frapper, et le souffle comme 吞吐, engloutir et vomir dans ce cas particulier.
Ensuite venait l’utilisation du souffle, la relaxation au travers de l’expiration, pour apprendre à détendre ses organes si on était confronté au désir ou à des sensations trop fortes. L’idée est que les émotions stressent les organes et la façon d’éviter cela est de les garder détendus tout le temps ; les étirements poussés et autres exercices ayant déjà amélioré leur souplesse, cela rendait le processus de relaxation plus facile. De ce fait, confronté à une sensation ou à un désir fort, il faut détendre les organes avant que cela puisse les atteindre. Pour rendre les choses plus faciles au départ, tout un rituel pouvait être accompli pour garder l’esprit de l’élève occupé à autre chose, comme effectuer des gestes de mains, utiliser des chapelets, réciter des versets… une fois la relaxation au travers de l’expiration maîtrisée, l’élève apprenait aussi à se relâcher en inspirant, en partant d’une détente légère pendant l’inspiration pour aller vers une détente plus profonde pendant l’expiration.
La régularité du souffle, profond, ininterrompu et long, était la façon de juger de sa capacité à rester calme. Tout essoufflement, même le plus petit, toute accélération du souffle était un signe que les émotions avaient pris le dessus. Transpirer en dehors d’une raison physique (exercice, extrême chaleur), était aussi un signe de nervosité.

Il est évident que l’étude en tant que loisir, dans nos sociétés de consommation, rend encore plus difficile une pratique qui l’est déjà, et spécialement pour les yeux, bombardés tous les jours par des stimuli. Une fois qu’il avait appris comment calmer les organes par la détente, l’élève devait apprendre à les mobiliser dans le but de créer la chaleur nécessaire pour faire de la vapeur.




Chaleur

L’exercice physique, en chauffant le corps, permet aux liquides essentiels contenus dans les organes de se transformer en vapeurs. En fait, les liquides nutritifs qui entretiennent le corps à travers le sang deviennent des vapeurs qui nourrissent l’âme/l’esprit à travers le Qi. D’un côté cela maintient la force physique et, de l’autre, la vitalité. Mais créer de la vitalité n’est pas suffisant, c’est une question d’équilibre. Ainsi, si l’exercice physique est nécessaire pour créer des vapeurs afin d’augmenter la vitalité, au moins au début, il diminue aussi le Qi et la vitalité. L’idée est très simple, il faut créer plus que ce qui est utilisé, et on trouve trois façons d’améliorer cette alchimie interne :
Premièrement, comme décrit auparavant, être aussi dépourvu d’émotions que possible, apprécier le calme d’un paysage pendant une randonnée étant plus fructueux que se précipiter à un rendez-vous ;
Deuxièmement, réduire le coût du mouvement. Bouger en utilisant l’élasticité des fascias est supposé être moins consommateur que relâcher et contracter les muscles ;
Troisièmement, réduire le mouvement autant que possible tout en chauffant les organes. Cela commence en prenant une posture basse, jusqu’à ce que les jambes commencent à chauffer.

Pour faire simple, se retrouver en nage quand on court vers l’école parce qu’on est en retard pour aller chercher ses enfants, très stressé et sans même savoir où ils nous attendent, donnera probablement un solde négatif, tandis qu’apprécier tranquillement un jogging matinal pendant une fraîche mais belle journée, souriant à tout le monde, aura probablement un résultat positif.
Les internalistes allaient même plus loin et essayaient de trouver comment les organes chauffaient. Ils y arrivaient avec différents exercices qu’ils appelaient "mobiliser les organes", une façon de faire pression sur les organes, mais sans stress, et de les faire chauffer. C’était aussi une façon d’augmenter le courant de Qi, appelés la grande et la petite circulation, 小周天與大周天, un autre sujet pour un autre billet. La plupart des exercices pour mobiliser les organes utilisaient des techniques appelées 淬 [cuì], tremper (un métal), qui consistaient en fait à mettre le corps dans deux directions opposées. L’exercice typique était celui du "voleur qui espionne". L’idée était d’imiter quelqu’un essayant de regarder par-dessus un mur sans être découvert. Il fallait passer très lentement sa tête au-dessus du mur pour être capable de regarder, mais en même temps, être prêt à la passer derrière aussi rapidement que possible pour éviter d’être repéré. Être extrêmement lent et attentif mais en même temps prêt à bouger rapidement, fait de façon totalement relâchée et avec une respiration appropriée, était le genre d’exercice qui aidait à comprendre comment mobiliser les organes. Et, d’une certaine façon, être totalement calme dans la posture du lotus pendant que les organes sont fortement mobilisés correspond à un exercice similaire, juste à un niveau de compréhension plus élevé.
Mobiliser les organes créait de la chaleur, qui les nettoyait, et alors réduisait les émotions, un cycle complet.




La relation entre calmer et mobiliser les organes devait être comprise comme une opposition complémentaire pour créer un cercle vertueux ; plus les organes étaient calmes, plus il était facile de les chauffer, plus ils devenaient chauds, plus ils pouvaient être calmes. Résoudre ce paradoxe était la chose la plus importante pour un artiste martial interne.




*Percer le Pou, 10 essentiels, Jijian. 貫虱心傳,十要,紀鑒



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