vendredi 14 octobre 2016

La Face Cachée de la Lune


拳有勢者, 所以為變化也. 横斜側面, 起立走伏, 皆有墙戶, 可以攻, 故謂之勢. 拳有定勢, 而 用時無定勢. 然當其用也, 變無定勢, 而實不失勢, 故謂之把勢*
La boxe a ses postures, ce qui résulte en changements. Horizontal ou de travers et de côté ou de face, en se levant ou en se tenant debout et en mouvement ou en se prosternant, tout a un mur et des portes, il est possible d'attaquer, et c'est pour cela que l'on parle de posture. La boxe a des postures déterminées mais, lors de son emploi, il n'y a pas de posture déterminée. Ainsi, elle assume son usage propre. Les changements ne connaissent pas de posture déterminée, mais en réalité on ne perd pas sa posture, c'est la raison pour laquelle on parle d'habileté dans l'art.

戚繼光曰: "操手足之號令易, 而操心之號令難; 有形之操易, 而不操之操難"**
Qiji Guang a dit: "Le commandement pour exercer les mains et les pieds est facile, mais le commandement pour exercer le coeur est difficile, l'entraînement qui a une forme est facile, mais l'exercice sans exercice est difficile"...




Pour les anciennes pratiques internes, le combat était chaos donc sans règle, tandis que la formation, pour compenser, devait être abordée avec méthode, par conséquent avec règles et ordre. Une formation en règle pour faire face au chaos était donc un autre oxymore à résoudre. En effet, le combat étant le chaos, l'objectif à atteindre était l'informe par le biais d'une formation, pourtant, gouvernée par la forme. Il y a donc beaucoup de dictons dans les arts martiaux chinois qui suivent le paradoxe de demander aux élèves de faire le contraire dans les combats de ce qui a été étudié pendant l'entraînement.
Avant d'expliquer en détail quelques principes généraux, la base d'une telle logique doit être comprise. Dans les pratiques internes, la formation se concentre principalement sur l'obtention d'aptitudes utiles et le maintien d'un corps en parfaite santé, athlétique et plein de vitalité, tandis que le combat est principalement une question d'expérience et ne peut être enseigné qu'en suivant le principe de forger pour devenir forgeron, donc en combattant. Bien sûr, parfois entraînement et combat seront au contraire identiques, ce sont seulement des tendances qui sont décrites après tout, certainement pas des règles strictes.




Acquérir des Aptitudes

Dans les anciennes pratiques internes, l'objectif principal était de transformer profondément le corps afin d'obtenir des aptitudes utiles pour le combat, ou d'en améliorer des existantes, et de se maintenir dans la plus grande forme possible. Estimant que la meilleure réponse au chaos devait être de n'avoir aucune réponse préconçue, être sans forme, informe, "Mes aptitudes sont sans forme ni apparence"***, comme le veut le proverbe. Il ne s'agissait donc point d'apprendre un ensemble de techniques utiles en combat, mais d'améliorer vitesse, précision, endurance, puissance, flexibilité, résistance, économie (d'énergie...), vigilance, motricité..., ou toute autre aptitude utile au combat. Voilà pourquoi les enchaînements, avec ou sans armes, n'ont jamais été un ensemble de techniques pour les pratiques internes et les exercices à deux ou plus non plus des simulations avec des scénarios fixés à l'avance. Autrement dit, plus une pratique attache des applications techniques à ses enchaînements et plus elle propose des exercices codifiés à deux, plus elle est externe.
Pour obtenir ou améliorer des aptitudes, il reste nécessaire d'adopter une forme, d'où les enchaînements, les postures, les exercices ... tous conçus pour ainsi acquérir ou améliorer, mais certainement pas comme support d'une étude de techniques particulières. Ainsi, le grand écart n'est pas fait pour permettre de donner des coups de pied hauts, mais pour améliorer l'élasticité des fascias, donc sa puissance et sa vitesse, et les organes, donc sa vitalité. La plupart des exercices de flexibilité se font ainsi dans le même esprit. Ainsi, les enchaînements sont également faits pour améliorer la souplesse du corps, en le faisant bouger dans toutes sortes de directions avec plein d'angles différents et en élaborant des façons de former le cerveau à déchiffrer des informations contradictoires, comme les mouvements asymétriques, mais ne sont certainement pas une collection de techniques à utiliser en combat. Les exercices à deux ou plus, de même, ne sont jamais des simulations avec un scénario fixe, mais des moyens d'améliorer sa vigilance, sa capacité de réaction intuitive et son agilité.

Les aptitudes nécessaires obtenues, le pratiquant pouvait enfin passer à l'étude de l'affrontement et, ainsi, apprendre à les utiliser.




Le Combat n'Est qu'Expérience

Une histoire assez connue dans les arts martiaux chinois est celle d'un étudiant qui pratique dans une montagne. Chaque fois qu'il pense qu'il est prêt, il essaye de quitter celle-ci mais, pour se faire, il se doit d'affronter un élève plus ancien. Tant qu'il n'arrive pas à le battre, il reste condamné à retourner étudier.
Les anciens croyaient que, une fois suffisamment d'aptitudes obtenues, la meilleure façon d'apprendre à combattre était de justement combattre. Ne voulant pas mettre leurs élèves dans des situations trop dangereuses tant qu'ils n'étaient pas prêts et avaient acquis suffisamment d'expérience, ils essayaient de contrôler l'environnement lors des premiers combats, soit en restant au sein de l'école, soit en faisant en sorte que l'adversaire soit d'un niveau très inférieur.

Au Sein de l'École
L'une des rares exceptions dans le monde des armes, les combats étaient à mains nues, à l'exception peut-être de certaines écoles extrêmes qui ne se souciaient pas vraiment du bien-être de leurs étudiants, le combat armé ne laissant pas beaucoup de place à l'erreur. Etant beaucoup plus forts et normalement capable de modérer la puissance de leurs coups, les anciens pouvaient se permettre de combattre sans règle ni protection face aux élèves moins avancés. Après tout, se battre sans armes rendait l'affrontement beaucoup plus facile à contrôler. Ainsi, les anciens pouvaient frapper avec suffisamment de force pour le rendre un coup très douloureux tout en évitant de blesser l'élève, ce qui permettrait de garder assez longtemps des séquelles de ses erreurs, de très bon rappels, mais sans graves conséquences, quelques bleus et des douleurs mais pas d'os cassés. De nos jours, dans les sociétés pacifiques où la violence physique n'est rien comparé à ce qu'elle était autrefois et avec des corps beaucoup plus faibles et bien moins habitués au contact physique et à la douleur, ce type d'entraînement a évolué en versions avec des règles et des protections, plus ou moins souples, plus ou moins violentes.
Une fois que l'étudiant(e) avait atteint le niveau des anciens, la formation au combat au sein de l'école se terminait et il fallait alors sortir.

À l'Extérieur
Dehors, c'était le royaume des armes, le danger se trouvant partout. Pour minimiser les dangers, la logique qui prévalait lors de la formation au sein de l'école, faire face à quelqu'un d'un niveau largement supérieur, devait être inversée, il fallait trouver quelqu'un de si faible en comparaison qu'il pouvait être battu en un clin d'œil. Cependant, tout pouvant arriver lors d'un affrontement, l'étudiant était encore supervisé par les anciens de l'école, qui étaient présents et prêt à intervenir en cas de problème, une sorte de bouée de sauvetage en cas d'imprévu, de peau de banane. En cas de succès, l'étudiant(e), alors, allait progressivement être mesuré à des personnes de niveaux de plus en plus élevés jusqu'à ce qu'il soit décidé qu'il/qu'elle avait gagné assez d'expérience pour se débrouiller tout(e) seul(e).
Aujourd'hui, bien sûr, les armes à feu et/ou la législation locale ne permettent plus de tels baptêmes du feu.

Bien sûr, tendances obligent, il y a des cas où l'entraînement vise directement le combat.




Quand L'Entraînement Vise le Combat

D'une part, parce que les enchaînements et les postures se pratiquaient de façon évolutive dans les anciennes pratiques, une fois les aptitudes nécessaires obtenues, le corps était transformé d'une façon qui allait rendre les mouvements de plus en plus proches de ceux effectués dans un combat. En effet, la version avancée du corps entier s'entraîne par des mouvements très courts et très ramassés, des exigences identiques à celles du combat.
D'autre part, dans la recherche de l'enchaînement le plus adapté aux spécificités de son propre corps, il y a l'entraînement à un mouvement identique quoiqu'il arrive. En effet, à côté de longs enchaînements dont le but est de former le corps à se déplacer en maniant une arme d'une manière aussi agile que possible, les étudiants répétaient aussi inlassablement le même mouvement, comme dégainer le sabre, piquer avec l'épée, enfoncer pour la lance ... Imposer un seul mouvement était une méthode destinée à faire comprendre à l'étudiant(e) qu'il se devait ensuite de trouver par lui-même sa technique ou son enchaînement préféré, celui qui correspondait le plus à ses qualités physiques et mentales et qu'il utiliserait ensuite dans la plupart des affrontements. Ainsi, il existe de nombreuses histoires dans les arts martiaux chinois où telle ou telle personne a appris à se défendre efficacement en utilisant une seule et même technique. L'unicité pour répondre à la multiplicité des changements dans le chaos du combat, un autre oxymore.
Enfin, la respiration, car elle devait devenir une seconde nature, se devait d'être identique tant dans l'entraînement que le combat: profonde, longue et ininterrompue, jamais, même légèrement, haletante. De même tout entraînement qui visait les organes, le mental ou l'esprit s'appliquait directement et de façon identique au combat.




En course automobile, l'état de la voiture est aussi important que la dextérité du conducteur. Le perfectionnement d'une voiture ne suit pas les mêmes principes que l'apprentissage de la conduite. Les anciennes pratiques suivent la même logique, l'amélioration du corps et l'apprentissage du combat sont, pour elles, deux choses différentes. Par conséquent, toutes les aptitudes obtenues lors de l'entraînement sont souvent la partie cachée de l'iceberg lors des combats, très utiles mais invisibles, très similaire en cela à la vitalité.




*Edition Martiale Pré-Compilation, Rouleau 5, Boxe, Tang Shunzhi (1507-1560), 武編前集, 卷五, 拳, 唐順之 (1507-1560)
**Compilation des Règles de Combat, Rouleau 1, Enseigner et Entraîner, Chenliang He (1506-1600), 陳紀選, 卷一, 教練, 何良臣 (1506-1600)
***無形無像我的功

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