mardi 2 août 2016

L'Arc, Pierre Angulaire de l'Elasticité


兩肩垂兮十指連
Les épaules tombent, les doigts se lient ! *

兩手垂兮兩肘彎
Les mains tombent, les coudes se courbent ! **

屈可伸兮伸又屈
Plié donc capable d'étirer, étiré tout en étant plié ! **

前開後合天然 妙, 雙峰對峙
Une merveille naturelle que d'être ouvert au devant et fermé à l'arrière, les deux acromions se faisant face***




Pour être en mesure d'utiliser l'élasticité des fascias, comme il a déjà été mentionné dans les billets précédents, il faut étirer les tissus conjonctifs pour gagner en élasticité et faire prendre au corps des alignements appropriés permettant de connecter (ou reconnecter) l'ensemble de chaque ligne de fascias. Cette combinaison d'étirements et d'alignements appropriés va au-delà de la transformation du corps, elle est aussi un moyen d'apprendre à tendre les lignes de fascias, d'abord indirectement, puis activement.
L'image de l'arc, souvent utilisé dans les pratiques internes, est en fait une clé pour comprendre, en premier lieu, comment arriver à tendre les lignes de fascias. En effet, utiliser l'élasticité des fascias est d'abord une question de placer les différentes parties du corps dans certains angles les unes par rapport aux autres de façon à créer une une tension élastique, tout comme le bois et la corde d'un arc sont tendus en raison de leur interaction. S'entraîner aux principes de l'arc se fait en trois phases, de la rectitude pure pour étirer les tissus conjonctifs afin de les rendre aussi élastiques que possible, puis le maintien de la rectitude en y ajoutant la prise de certains angles pour étirer encore plus et commencer à comprendre comment tendre les fascias et, enfin, la rondeur à travers l'image du bois de l'arc. Pour rendre les choses plus faciles à comprendre, le travail sur la poitrine et les bras à travers la posture de "Wei Tuo Présentant le Pilon II" des Canons des Changements des Fascias servira d'exemple.

Wei Tuo Présentant le Pilon II 




Et la Tendresse ? 

L'usage habituel des muscles en mode contraction ou des fascias par leur élasticité est très facile à vérifier, il suffit simplement d'appuyer sur ses muscles. Si ils sont durs (ou mous en cas de manque d'activité sportive ou dans le cadre des méthodes dites douces), la contraction est leur principal moyen de générer de la force. Si les muscles sont tendres, comme un bon steak, c'est alors l'élasticité des fascias qui est employée.

Pour rendre les tissus conjonctifs plus tendres, il faut les étirer. Il suffit tout simplement d'étirer toute partie du corps aussi longtemps que et le plus droit possible, comme la corde de l'arc quand elle est tendue par le bois. Mais il ne s'agit pas simplement de l'étirement séparé de muscles ou de tendons, mais de lignes entières de fascias. Ainsi, dans "Wei Tuo Présentant le Pilon II"  ce qui doit d'abord être étiré sont les lignes qui vont d'une main à l'autre à travers la poitrine, la corde de l'arc. Pour ce faire, il faut reconnecter les lignes en prenant les angles appropriés. Par conséquent, le premier travail à faire est de contenir la poitrine, ce qui signifie aligner le sternum avec les épaules. En faisant ainsi on reconnecte la ligne entre les épaules (si le sternum dépasse, la connexion est coupée). Les épaules, elles, doivent être maintenues au milieu de chaque côté du corps, ni en avant, ni en arrière. Les coudes ne doivent pas seulement aussi se trouver en ligne avec le milieu de chaque côté, mais leur pointe doit pointer verticalement vers le sol. Le poignet doit être plat et la pointe des doigts se courber en direction du sol. Puis, tout en maintenant ces alignements, on doit essayer d'étirer les bras aussi loin du corps que possible tout en gardant les muscles totalement relâchés.

Pour une personne qui commence avec des muscles durs, ceux autour des articulations des épaules très dévellopés, tenir cette posture avec les bons angles va être rapidement très douloureux. Dans le cas contraire, cela veut dire que les alignements pris ne sont pas corrects. À ce stade, parce que les muscles sont trop durs, il n'y a que très peu d'élasticité des fascias, les étirements visant simplement à rendre les muscles tendres pour permettre aux tissus conjonctifs de redevenir vraiment élastiques.




Se Tendre

"Wei Tuo Présentant le Pilon II" exécuté avec les bons alignements étire totalement l'ensemble des lignes de fascias de la pointe des doigts d'une main à l'autre. Une fois que les muscles sont redevenus tendres, un tel étirement va naturellement tendre les lignes, tout comme la corde d'un arc est étirée des deux côtés par le bois. Ici, les doigts essayant de s'éloigner de plus en plus du corps tirent sur les lignes les fascias. En pure logique, pour être étiré le plus possible, les tissus conjonctifs doivent opposer le moins de résistance possible. Pour ce faire, ils doivent doivent donc être aussi lâches que possible. D'où le principe "外剛內柔", ferme à l'extérieur mais souple à l'intérieur, plus les tissus conjonctifs sont lâchés, plus ils peuvent s'étirer, plus ils s'étirent, plus le corps se tend. Les anciennes méthodes diraient "pour être ferme, il faut être lâche", ou "il faut être tendre pour se tendre", un apparent oxymore.

A ce stade, la tension est passive, créée principalement par les alignements et la posture, les bras droits. Il appartient alors à l'étudiant de chercher ce qui se passe au niveau des muscles, des tendons et des tissus conjonctifs pour recréer le processus activement, non pas par les alignements, mais juste en se relâchant et étirant les muscles en même temps. Pour les adultes de nos jours, cela sera plutôt difficile, la contraction avec recherche de la sensation est un réflexe tellement habituel que, même avec une bonne tendresse musculaire, il revient naturellement.




De la Corde au Bois

En gardant l'exemple de "Wei Tuo Présentant le Pilon II",  une fois que l'on est tout à fait habitué et maîtrise la tension à travers l'étirement droit et en relâchement, il faut apprendre à faire de même chose en courbe, 三弓, les trois arcs, également appelé 三曲, les trois courbes. Pour "Wei Tuo Présentant le Pilon II" ce sont les mains, les bras et la poitrine. En effet, les doigts maintiennent la flexion vers l'arrière, mais tout en pliant leur bout pour qu'ils fassent face ciel, arquées d'une façon très semblable au bois d'un arc ; la pointe des coudes, tout en continuant de pointer vers le sol, se laisse tomber encore plus vers celui-ci, les bras n'étant alors plus totalement droits, les coudes plus bas que les épaules et les mains, le deuxième arc; enfin le sternum, plus souple, va se placer légèrement à l'intérieur des épaules, le troisième arc. A ce stade, les muscles sont assez souples pour soutenir les tendons lors des étirements afin d'éviter les tendinites, tandis que le nouvel alignement apporte un étirement supplémentaire et une meilleure connexion des lignes de fascias.
Alors que la première étape de "Wei Tuo Présentant le Pilon II" est principalement destinée à étirer les fibres musculaires, celle-ci met l'accent sur les articulations, étant souvent appelée "ouverture des articulations". En effet, faite correctement, les articulations seront capables de se disloquer très légèrement, un petit craquement se faisant entendre, et les clavicules seront beaucoup plus flexibles tant vers l'avant que vers le haut (pouvant se mettre à la verticale, les deux bras étant en mesure de toucher simultanément leur oreille respective).

A ce stade, toute contraction musculaire est non-seulement contre-productive mais peut conduire à des tendinites. Par conséquent, il est très important pour les adultes d'être prudent, de ne pas se précipiter et de vérifier si ils peuvent vraiment étendre leur muscles en détente.




Rondeur et Alignements Internes

La dernière étape, tout en gardant l'exemple de "Wei Tuo Présentant le Pilon II"  est d'atteindre le stade où les deux bras et la poitrine deviennent comme le bois de l'arc. Alors que, dans les deux étapes précédentes, les alignements produisent l'étirement des tissus conjonctifs, ici, c'est leur étirement qui créent les alignements, la boucle est bouclée. Par conséquent, cette étape est appelée alignement interne parce qu'il ne s'agit pas de placer les parties du corps les unes par rapport aux autres, mais d'étirer le milieu et les extrémités des lignes de fascias. Dans cet exemple particulier, il s'agit du sternum et des mains. En effet, une fois le sternum suffisamment souple pour se placer à l'intérieur des épaules, il sera tiré par les tissus conjonctifs vers l'arrière en direction des premières vertèbres thoraciques tandis que les mains (et leurs doigts) seront comme si elles se tiraient l'une l'autre, exactement comme les extrémités du bois tirent sur la corde d'un arc. A ce stade, "Wei Tuo Présentant le Pilon II" sera très différent de la posture originale, les bras seront tellement pliés qu'ils en deviendront ronds (au lieu de complètement droits) et, en raison de la traction du sternum, se feront face en un angle de plus ou moins 45° au lieu de le faire au ciel. La pointe des coudes sera presque à horizontale au lieu de pointer verticalement tandis que le poignet sera plié vers l'intérieur en un angle de plus ou moins 45°. Bien sûr, il s'agit d'indications générales, la structure innée et l'élasticité de chacun affectant les angles.

La but d'un tel entraînement était, à terme, non pas l'alignement, mais la capacité de verrouiller élastiquement le corps.




Verrous, le But de l'Entraînement à l'Elasticité

Le corps inamovible, qui était l'un des tours de foire utilisé par les artistes martiaux pour gagner de l'argent, vient en réalité d'une vraie compétence martiale appelé plus ou moins "verrouillage" dans certains styles. L'idée est d'améliorer la force du corps entier, un adversaire étant alors confronté à quelque chose d'aussi peut amovible qu'une statue, déplaçable qu'en un bloc. Dans les arts internes cela se fait, bien sûr, par le biais de l'élasticité. Celle-ci a cependant ses limites, une force plus importante que l'élasticité peut finir par faire bouger juste une partie du corps, mais pas réellement indépendamment du reste de celui-ci. En effet, la principale différence est que, une fois la force de l'adversaire absorbée, le membre ou la partie qui a bougé reviendra automatiquement et sans effort à sa position initiale. Par conséquent, il est de coutume dans certaines pratiques de frapper un étudiant effectuant une forme, l'un des objectifs étant de vérifier si les bras, par exemple, restent immobiles. Pour les arts internes, l'amovibilité est bien sûr bonne, mais dans le cas où le bras se déplace parce que la force est trop grande, il devra revenir naturellement à sa place d'origine, ce qui est la chose la plus importante. Ceci est la différence réelle entre rigide et ferme et ce qui donne aux bras un mouvement de haut en bas sans fin lorsque l'on tient "Wei Tuo Présentant le Pilon II" tout en marchant.

Le verrouillage du corps est principalement la recherche du point dans le corps va permettre d'étirer à leur plus grand maximum les lignes de fascias concernées, comme le sternum et les premières vertèbres thoraciques. Les poignets et les genoux sont des exemples tout à fait évidents de ce qu'une personne peut atteindre quand elle travaille sur le verrouillage élastique. Pour le poignet, comme il a été mentionné, si verrouillé, il prend une position pliée qui dans tout autre cas ne pourrait déboucher que sur une foulure, seul l'alignement interne par l'élasticité pouvant permettre une telle liberté. Pour les genoux, si l'on trouve le verrou lié à l'os pubien, ils vont se séparer l'un par rapport à l'autre, ne se touchant plus, la seule partie des jambes encore en contact étant les pieds, ce qui serait à comparer avec cette posture de base. Ceci est souvent appellé l'entre-jambe rond.




L'élasticité étant une manière particulière d'utiliser son corps, elle amène ce dernier à se déplacer et prendre des angles tout à fait remarquables. Une fois le principe de l'arc assimilé, il faut s'entraîner à la croix, un moyen de relier toutes les lignes de fascias entre-elles, croix qui mène ensuite aux six directions. En outre, l'étirement par le principe de l'arc ne représente qu'un seul côté de l'élasticité, le ressort doit être aussi travaillé en rétractant les muscles, ce qui n'est certainement pas les contracter, et les compresser exactement comme l'est l'intérieur du bois d'un arc.




*Livre de Chang sur les Compétences Martiales, chapitre 3, paragraphe 22, Les Mains. 萇氏武技書, 卷三, 第二十二章, 手
**Livre de Chang sur les Compétences Martiales, chapitre 3, paragraphe 24, Coudes. 萇氏 技書, 卷三, 第二十四章, 肘
***Livre de Chang sur les Compétences Martiales, chapitre 3, paragraphe 26, Epaules Plates. 萇氏武技書, 卷三, 第二十六章, 平肩

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