samedi 8 octobre 2016

Droit au Coeur


教拳不教步, 教步打師傅
Enseigner la boxe mais sans les déplacements, enseigner les déplacements et le maître se fait battre

教一手, 不教一口, 教一口不教一走
Enseigner une technique mais sans la décrire, la décrire mais ne pas enseigner les déplacements




Les livres et les écrits sont une aide précieuse, surtout lorsque l'on fait des recherches, mais on ne peut pas vraiment apprendre seulement avec ceux-ci, surtout au tout début, tout comme les vidéos. Ceci est encore plus vrai pour les anciennes pratiques qui ne sont pas un produit pour les masses, mais un outil personnalisé pour chaque étudiant. Par conséquent, ce blog, comme tout autre écrit, est totalement inutile pour toute personne disposée à apprendre les arts, il ne peut être un moyen de réflexion.
De nos jours, un enseignant montre des techniques qui sont acquises visuellement par les étudiants, sans parler des livres et vidéos qui les décrivent abondamment, tout autant que certains principes. Autrefois, l'enseignement était au contraire oral et passait plus par le cœur, "口傳心授". Si l'on veut revenir à l'esprit des anciennes pratiques, il est plus que nécessaire de comprendre que l'étude de celles internes, qui vise à comprendre l'informe et l'invisible, ne peut pas être appris par le biais des yeux et de la simple imitation.




Avoir à Coeur

口傳心授, "Transmettre oralement un enseignement au cœur", est la version plus courte de ce qui devrait être 口傳心心授, "Transmettre oralement de son cœur un enseignement à un autre cœur", mais avoir deux fois à la suite le caractère "coeur" semble un peu redondant en chinois. Par conséquent, une autre expression, 以心傳心, "transmettre de cœur à cœur", existe aussi. Une telle façon d'enseigner va au-delà de la traduction habituelle de l'expression en "l'enseignement oral inspire une véritable compréhension", il décrit essentiellement et en très peu de mots la relation nécessaire entre un enseignant et son élève pour avoir une chance de pouvoir transmettre plus qu'un ensemble de mouvements et quelques principes, une compréhension beaucoup plus profonde de la mécanique corporelle et du raffinement de la vitalité. Comme mentionné dans Méthode, ceci est le pourquoi d'une des façons privilégiées d'étudier: vivre avec son professeur, ne le quittant presque jamais, devenant littéralement son ombre. En d'autres termes, devenir presque un clone de son professeur était la meilleure façon d'étudier. Une fois fait et le niveau désiré obtenu, l'étudiant pouvait alors revenir à sa propre personnalité. D'une certaine façon, le processus d'apprentissage n'était pas loin de celui du jeu d'un d'acteur, et plus particulièrement de celui appellé La Méthode.
Par conséquent, dans l'étude des arts dans les pratiques internes on cherchait à aller au cœur des mouvements, non pas à leur simple leur expression, qui de ce fait devaient venir naturellement. Aller au cœur de ceux-ci était travailler sur et avec ses tripes, le cœur les dirigeant. Ainsi, l'étude par les yeux est considérée comme externe tandis que celle par le cœur interne. Inutile de dire que quelques fois par semaine, voire de nos jours quelques stages l'année, ne peut pas créer un environnement approprié, seule l'immersion totale le peut.

Cependant, pour comprendre ce qui est caché, il faut qu'il y ait divulgation, et la façon de le faire est la direction orale nécessaire donnée par l'enseignant.





Une Tradition Orale

La théorie des arts martiaux dans les arts internes a toujours été complexe, car elle décrit des processus internes et invisibles donc très difficiles à comprendre par essence. Cette complexité n'a jamais été conçue pour être une réflexion purement théorique, mais, comme pour les sciences appliquées, une théorie à mettre en pratique. Ces théories sont, bien sûr, à mettre en oeuvre directement dans son propre corps, celui-ci étant le réceptacle direct de toute la théorie, aucun n'écrit n'étant nécessaire. Voilà pourquoi, à de très rares exceptions près, les manuels d'écoles, 拳譜, sont un phénomène tout à fait récent (commençant petit à petit à apparaître à la fin de la dynastie Ming, à peu près autour du XVIIe siècle). On peut même considérer que plus les vieilles pratiques déclinent, plus le besoin d'écrits se fait sentir, les étudiants de nos jours ne pouvant plus devenir ce savoir vivant et donc avoir la capacité de le transmettre.
Dans la tradition orale, parce que les gens étudiaient avec leur cœur, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, ne comptant pas sur un quelconque support pour leur mémoire, ils pouvaient se permettre de ne pas répéter tel ou tel enchaînement pendant quelques années et, après seulement quelques essais au plus, pouvoir à nouveau l'exécuter. C'est de cette façon là que leur corps devenaient une bibliothèque vivante où ils pouvaient puiser ce dont ils avaient besoin quand ils en avaient besoin et ne pas avoir à réviser très régulièrement pour ne pas oublier. Comme monter à bicyclette, une fois les compétences acquises, vous vous en souvenez à vie. En raison de cette tradition orale, la plupart des artistes martiaux étaient presque analphabètes, ne connaissant que très peu de caractères, le plus souvent ceux liés à leur pratique*, assez loin de l'idéal venant de la théorie du civil et du martial: la maîtrise à la fois des arts martiaux et civils, un char ayant toujours besoin de deux roues. Un exemple parfait est la moindre fréquentation des artistes martiaux aux examens militaires impériaux au cours de la dynastie des Song, la rédaction d'un essai et la mémorisation de sept manuels militaires ayant été rendus obligatoires. Les examens militaires devinrent alors plus une seconde chance pour les littéraires aux examens civils impériaux qu'un véritable recrutement de talents militaires**. Il reste intéressant de noter que, dans certains cas, les études civiles et martiales faisaient partie d'un ensemble, comme dans l'école dirigée par Confucius où, sur six sujets, deux étaient martiaux, tir à l'arc (pour lequel il était censé exceller, abattant les oiseaux au vol) et le char. Selon le célèbre historien chinois Si Maqian***, Confucius était très grand pour l'époque, autour d'un mètre quatre-vingt, et selon Lie Yukou, l'auteur de Liezi ****, d'une puissance largement supérieure à la moyenne. Les 俠客, la version chinoise des paladins (chevaliers connus pour leur chevalerie et leur bravoure), étaient censés être à la fois de grands érudits et de bons artistes martiaux, le célèbre poète de la dynastie Tang, Li Bai, prétendant en faire partie***.




Dans les temps modernes où ces pratiques sont devenues plus un loisir qu'autre chose, il y a évidemment besoin de plus d'écrits, juste au moins pour garder une sorte de mémoire des pratiques des anciennes méthodes. Pourtant, décrire au delà des bases serait probablement contre-productif, et plus encore si l'on veut coller aux méthodes anciennes où la découverte est la pierre angulaire de l'étude et certainement pas la mémorisation de règles et de principes. Il est également intéressant de noter qu'avec le développement des moyens de communication modernes et la révolution Internet, l'acquisition de connaissances générales est assez facile de nos jours. On peut donc obtenir toutes sortes d'informations, enchaînements, principes ... sur presque toute pratique. Comme pour la plupart des choses dans notre société de consommation, ce n'est plus l'absence mais la profusion qui devient effectivement un problème. Face à trop de choix et trop peu de temps, on finit avec beaucoup de connaissances, mais sans de réelle compréhension profonde, capable de citer un grand nombre, mais d'exécuter si peu.




*Certaines écoles utilisent des caractères avec souvent une façon spéciale de les lire ou de les interpréter comme aide à la compréhension (voir 武術 Guerre et Paix), ou de jouer avec l'homophonie de certains caractères comme 手, "les mains" et techniques par extension, et 守, "protéger".
** Cent ans après leur arrivée au pouvoir, les Songs (960 à 1279), donnèrent la priorité aux affaires civiles, la partie martiale des examens militaires devenant encore moins stricte que leur contrepartie écrite, les postulants devant juste posséder une compréhension de base de l'équitation et du tir à l'arc pour passer ceux-ci.
***司馬遷
****列御寇, 列子
*****Parmi certains de ses poèmes célèbres, 侠客行, Ode à la Galanterie, où il décrit la vie d'un paladin.

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