samedi 23 juillet 2016

La Forêt


殊途而同歸*
Tous les chemins mènent à Rome




Il y a de nombreuses façons de nommer les arts martiaux en Chine, l’une d’entre elles étant 武林[1], souvent traduite par communauté martiale, 武 signifiant martial, et 林 communauté par extension, sa signification originelle étant le bois, la forêt. Cependant, parce que 林 est la combinaison de deux 木 (arbre, bois), il signifie aussi la multitude, comme dans l’expression 林林總總[2] (nombreux, innombrables). Et c’est exactement le sens dans lequel le terme 武林 doit aussi être pris.

De nos jours, contrôler un drone à distance ou piloter un avion de chasse ne nécessitent ni la même formation ni les mêmes règles, et les commandos et les troupes régulières sont deux types de soldats très différents. De la même façon, un commando de marine n’est pas vraiment fait pour les missions en haute montagne… Il y a une multitude de professions martiales avec une multitude d’entraînements correspondants, certains meilleurs que d’autres, certains moins bons. Dans les anciens temps, c’était exactement la même chose.

Il est indiscutable que nous sommes tous des humains, et que, quoique nous fassions, marcher demande toujours de mettre un pied devant l’autre tout en gardant son équilibre, qu’il existe donc des principes communs à de nombreuses pratiques. Cependant, art martial est aussi un terme générique pour différentes professions requérant des aptitudes variées et différentes, d'où la forêt martiale, 武林.

Comme les pratiques martiales sont si nombreuses et variées, on peut essayer, afin d'y voir plus clair dans son propre entraînement, de les classer. En connaître les origines, savoir dans quels buts était conçue sa propre pratique, quels en sont les points forts, et, plus important, les faiblesses, est toujours un avantage. Les arts martiaux peuvent être classés de deux façons, selon leurs objectifs et selon leurs méthodes d’entraînement. Ci-dessous quelques exemples, la liste étant non exhaustive.


Différents buts, différents principes

Profession et Loisir
Toute formation menant vers le métier de soldat, de policier, la protection des personnes ou des biens était professionnellement orientée tandis que la self-défense ou les arts de démonstration étaient considérés comme du loisir ou “des arts martiaux pour civils”, comme les “formes fleuries”, les combats arrangés ou des démonstrations impressionnantes de force réalisés dans les différentes foires, 廟會[3], pendant les festivités du Nouvel An Chinois. L’équivalent de la self-défense à destination des civils avait souvent un entraînement modifié de façon à ce qu’il soit moins difficile physiquement et qu’il prenne moins de temps, l’adaptant comme aujourd’hui aux différents besoins des consommateurs. C’est pourquoi certaines différences entre les styles d’une même école sont parfois liées à ceux à qui l’entraînement était donné. C’est aussi pour cela qu’un escrimeur entraîné écrit de la même façon que lorsqu’il fait de l’escrime, tandis qu’un lettré pratique l’escrime de la même façon qu’il écrit. Identique vu de l'extérieur, mais tout ce qui fait, en fait, la différence entre le ferme et le souple, 剛 et 柔[4].

Régulières et Élites
Les troupes régulières n’avaient pas besoin d’un entraînement intensif et poussé, à la différence des élites. Par conséquent, un simple soldat était juste entraîné à bloquer, parer et piquer avec une lance rigide. Et l’usage étendu de la lance dans l’armée durant certaines périodes en Chine, la lance étant une arme à la fois pour l’infanterie et la cavalerie, pourrait expliquer qu’elle était considérée comme la reine des armes "槍為百兵之王". Mais cet entraînement basique de l’armée n’avait pas grand-chose à voir avec celui d’un vieux maître de lance qui s’était entraîné avec une lance si flexible qu’il pouvait l’utiliser comme une ceinture, expliquant pourquoi traditionnellement la lance était vue dans certaines écoles comme l’arme des fourbes "槍為百兵之賊". En effet, bloquer, parer et piquer 攔, 拿, 紥 [5], les trois mouvements basiques de la lance courte, devenant alors renverser, vriller et rebiquer 翻, 鑽, 翹.

Spécialisation
Comme en médecine, être un chirurgien, un généraliste ou un cardiologue requièrent différentes compétences, et il serait assez étonnant, voire impossible, de maîtriser les trois. La comparaison peut s’appliquer aux arts martiaux, l'entraînement des archers de cavalerie légère et celui des lanciers d’infanterie lourde sont deux choses très différentes. Cela conduit même, dans certains cas, à deux méthodes opposées d’entraînement, les maîtrises dite de légèreté et celles dites de terre (d'enracinement), comme cela sera expliqué plus loin.




Différentes Méthodes, Différents Principes

正門和邪門 Orthodoxes et Anormales
Les pratiques dites orthodoxes insistaient sur la recherche de l’atteinte du vide intérieur au travers de l’annihilation des émotions et des désirs tandis que les pratiques anormales les amplifiaient dans le but d’obtenir leur force. Les premières tendaient vers un entraînement monastique, retiré de la société, avec un régime alimentaire simple et en se tenant éloigné de toute pensée parasite, alors que les dernières utilisaient des drogues, les dépravations et les visualisations pour forcer l’esprit à atteindre un état modifié, et prétendument aussi la magie noire, ainsi que des sacrifices animaux et humains… Les pratiques anormales étaient qualifiées de démoniaques, une autre signification de 邪[6], et leur influence de nos jours semble se limiter à de jolies histoires dans les romans et les films d’arts martiaux. Cependant, certaines de ces méthodes d’entraînement restent d’actualité, comme l’utilisation de la rage pour devenir berserk, en opposition à atteindre un état sans pensée et sans émotion dans le but de devenir une machine. Elles réapparaissent aussi parfois dans notre monde moderne, comme dans le débat autour de la mode pour les amulettes venant de la "Marque Bouddhiste", "佛牌[7]", de Thaïlande. Ses détracteurs disent qu’elles sont ointes avec de l’huile provenant de cadavres, qu’elles invoquent donc les esprits et les fantômes, et non pas la protection de Bouddha, apportant plus de désastres qu’autre chose.

有形和無形 Forme et Sans Forme
Alors que certaines écoles considéraient que le combat était une série de techniques enchaînées, d’autres pensaient que c’était un chaos total au sein duquel tout pouvait arriver. Donc, à un extrême, les entraînements étaient des techniques enchaînées, faites pour être utilisées dans des situations précises pendant les combats, donc des entraînements avec des applications et des chorégraphies très précises impliquant un ou plusieurs élèves. D’un autre côté, il s'agissait juste de former le corps, la recherche de certaines qualités, comme quelqu’un travaillant le grand écart pour améliorer sa souplesse, entraînements sans application, les exercices à deux ou plus ne suivant presque aucune chorégraphie, le combat étant appris en combattant.

內和外 Interne et Externe
La première insiste sur la vitalité comme force principale tandis que la seconde utilise plus le corps. La vitalité est cette chose invisible qui fait que le corps atteint son pic de performance, ou l’opposé, sans changement visible (comme la masse musculaire). Elle est généralement liée à notre style de vie (repos, nourriture…) et peut changer promptement pendant la journée. Le travail principal des pratiques internes est un travail sur les organes et sur les émotions. Évidemment, notre corps est un tout, et tant les pratiques internes qu'externes entraînent le corps aussi bien que la vitalité. La différence est dans la façon dont elles abordent l’entraînement. C’est pourquoi, par exemple, l’utilisation des muscles est différente : élasticité, extension ou rétractation, pour l’interne, contraction ou relâchement pour l’externe.


地功和輕功 Enracinement et Légèreté
La différence, mentionnée plus haut, vient de professions spécialisées. C’est pourquoi les voleurs ou assassins et les gardiens ou gardes du corps n’étaient pas seulement professionnellement en opposition, mais aussi dans l’entraînement. Les premiers avaient besoin de légèreté pour bouger rapidement et de façon décisive tandis que les seconds avaient besoin de s’ancrer le plus possible dans le sol pour devenir un mur au travers duquel personne ne pourrait passer. Cela a conduit à la fameuse différence entre les écoles qui poussent avec les pieds, se dénommant parfois elles-mêmes les piliers (maîtrise de terre) et celles qui l’interdisent, s’appelant elles-mêmes parfois boxe sans guêtres (maîtrise de légèreté).


Évidemment, non seulement ces distinctions s’appliquent à ceux qui y trouvent un intérêt dans le cadre d’une meilleure compréhension des principes gouvernant leur propre pratique, mais elles doivent aussi être considérées comme des tendances, plus sombres ou plus claires, mais certainement pas simplement noires ou blanches. De plus, ces distinctions n’étaient pas tout le temps si évidentes, les pratiques s’étant souvent influencées les unes les autres. Pour rendre les choses encore plus compliquées, un grand nombre de pratiques en Chine venaient du peuple, à travers les temples (bouddhistes, taoïstes…), les écoles, les sociétés secrètes, les villages tentant de se protéger par eux-mêmes… Ces pratiques étaient si répandues qu’elles devenaient parfois un contre-pouvoir en conflit avec les autorités locales, pouvant être même interdites (c’est pourquoi, pour éviter la persécution, il était proscrit dans certaines écoles de mentionner le nom de son maître). C’était le temps des chevaliers errants, 俠客[8], et des itinérants, 江湖[9], une part très importante de la communauté des arts martiaux, 武林.


*Yijing

[1] wǔlín
[2] línlínzǒngzǒng
[3] miàohuì
[4] gāng et róu
[5] lán ná zhā
[6] xié
[7] Fó pái
[8] xiákè
[9] Jiānghú


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