mercredi 29 juillet 2020

Une Jeunesse Forte et Expérimentée


拳怕少壯, 棍怕老郎
Le poing craint le jeune et vigoureux, le bâton le vieux monsieur



身體力行
Un corps agit en fonction de sa force physique
1.

讀萬卷書不如行萬里路
Il vaut mieux marcher des milliers de kilomètres que lire des milliers de livres
2.





Un vieux dicton martial affirme que l’expérience représente la moitié, sinon plus, de la valeur d’un guerrier.
Le vigoureux jeune et le vieux monsieur soulignent également les deux principales qualités qu’un artiste martial doit rechercher, un corps fort, vigoureux et toujours jeune et de l’expérience. À une époque où les gens cherchent davantage à acquérir des compétences et manquent fortement d’expérience (de nombreux combats avec les armes blanches d’autrefois), ce dicton peut être un autre exemple de la façon dont les anciens arts martiaux ont changé depuis qu’ils sont devenus une pratique pour les civils.

Parce que nos sociétés sont devenues plus civilisées, pour le meilleur, et que l’armement moderne est beaucoup plus avancé, pour le pire, les anciennes pratiques martiales provenant d’époques sans armes à feu ne peuvent plus remplir leur principal objectif. C’est pourquoi, au cours des deux derniers siècles, elles ont progressivement investi la sphère civile, offrant un peu de tout, de l’autodéfense à l’illumination. Ce faisant, et du fait du manque d’expérience régulière, elles ont définitivement évolué loin leur but principal, quoi que puissent vendre des pratiquants un peu rêveurs. En fait, ceci n’est pas quelque chose d’inédit, car il peut-être courant que les exigences martiales se heurtent à une vie sociale et plus civile. On peut en trouver un exemple dans la façon assez peu pratique dont les épées étaient parfois portées à la taille sous les dynasties Han, Jin et plus anciennes, la poignée pointant vers le sol et fermement attachée pour éviter que la lame ne sorte du fourreau, ce qui la rendait très difficile à dégainer.

Le fait de devoir s’asseoir sur les genoux avec des épées qui devenaient de plus en plus longues, l’étiquette qui imposait de ne pas pouvoir dégainer facilement son épée lors de certaines interactions sociales et peut-être aussi simplement une mode pour les nobles qui portaient des épées davantage pour montrer leur statut qu’en tant que véritables escrimeurs
3, sont quelques-unes des raisons possibles. Néanmoins, cette pratique allait totalement à l’encontre de la nécessité d’avoir son arme prête et facile à dégainer pour les artistes martiaux. Cela pourrait même être la raison pour laquelle le roi Zheng4 a presque été tué par l’assassin Jin Ke, ne pouvant dégainer immédiatement son épée.
Si, même à une époque où les épées étaient réellement utilisées, le fait d’interagir dans le monde civil pouvait contraindre les pratiquants d’arts martiaux à adopter ce genre d’habitude dangereuse, on comprend aisément comment une conversion complète à la sphère civile peut changer les pratiques, surtout lorsque l’on n’a plus la possibilité d’acquérir régulièrement une expérience réelle.

Les objectifs de l’entraînement régulier ont également évolué en fonction de ce qu’une école vend, de la compétition à l’autodéfense en passant par l’éveil, les besoins sont différents, tout comme les exigences physiques. Dans la sphère civile, être fort et vigoureux, ralentir le processus de vieillissement, peut ne pas sembler opportun, ou tout simplement ne pas correspondre à ce que les gens recherchent en tant que loisir. Il peut néanmoins être intéressant de noter que ce dicton ne met pas l’accent sur les compétences, mais seulement sur la vigueur, la jeunesse et la résistance physique. La logique est en fait assez simple, il faut d’abord améliorer le corps et la santé, puis l’esprit, car, plus forts, ils permettent naturellement à quelqu’un de faire plus5. Si les compétiteurs d’arts martiaux sont en accord avec ce dicton, les professeurs au gros ventre et facilement essoufflés, venant d’une mauvaise compréhension du concept de non-force et des techniques de respiration, sont loin de cette exigence. Autrefois, un artiste martial devait pouvoir porter beaucoup de poids sur lui, monter à cheval ou marcher pendant des heures, rester debout ou allongé longtemps, sinon imperméable, du moins très résistant aux intempéries… autant de qualités qu’un corps d’athlète pouvait fournir. Et si les pratiques internes avaient une idée légèrement différente de ce qu’était une personne athlétique, il fallait tout de même que l’entraînement mène aux capacités mentionnées ci-dessus.




Un corps fort pour pouvoir manipuler facilement une arme et de l’expérience pour comprendre les dangers auxquels on est confronté lorsqu’on se bat avec elle. De prochains billets tenteront de développer plus en détail ces qualités.

 


1 « Pratiquez ce que vous prêchez » est le sens commun de ce proverbe.
2 Il s’agit, en fait, de l’un des rares dictons chinois où les livres ne sont pas vénérés, car il souligne la nécessité d’acquérir une expérience réelle. Bien entendu, la culture chinoise a tendance à accorder généralement beaucoup de valeur au livre, avec des dictons comme 書是隨時攜帶的花園, un livre est un jardin à portée de main, ou 好書如摯友, un bon livre est comme un ami cher…
3 Certaines lames d’épée étaient même parfois en bois, n’étant portées que pour les apparences.
4 Qui devint plus tard le célèbre Qin Shi Huang, fondateur de la dynastie Qin.
5 A mettre en perspective avec l’adage 功到取成, Quérir quand la compétence est déjà acquise.

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