samedi 28 juin 2025

Jeune, Fort et Expérimenté


拳怕少壯, 棍怕老郎
Le poing craint le jeune et vigoureux, le bâton le vieux monsieur.


身體力行
Un corps n’agit qu’en fonction de ses forces physiques1.

讀萬卷書不如行萬里路
Il vaut mieux marcher des milliers de kilomètres que de lire des milliers de livres2.




Un vieux dicton martial affirme que l’expérience elle-même représente la moitié, sinon plus, de la valeur d’un guerrier.

Le jeune homme vigoureux et le vieux monsieur soulignent également les deux principales qualités qu’un artiste martial doit rechercher : un corps fort, vigoureux et toujours jeune, et de l’expérience. À une époque où les gens cherchent davantage à acquérir des compétences et manquent cruellement d’expérience (c’est-à-dire de nombreux combats avec les « armes blanches » des temps anciens), cette expression pourrait être un autre exemple de la façon dont les anciens arts martiaux ont changé depuis qu’ils sont devenus une pratique pour les civils.
Parce que nos sociétés sont devenues plus civilisées, pour le meilleur, et que l’armement moderne est beaucoup plus avancé, pour le pire, les anciennes pratiques martiales issues d’époques où les armes à feu n’existaient pas ne peuvent plus remplir leur fonction principale. C’est pourquoi, au cours des deux derniers siècles, elles ont été progressivement transférées dans le monde civil, offrant tout ce qui va de l’autodéfense à l’illumination personnelle. Ce faisant, et par manque d’expérience régulière, ils ont définitivement évolué vers quelque chose qui n’était pas leur intention première, quoi qu’en disent certains pratiquants un peu rêveurs. En fait, ce n’est pas quelque chose d’inédit, car les exigences martiales peuvent entrer en conflit avec une vie sociale et plus civile. Un exemple peut être trouvé dans la manière peu pratique dont les épées étaient parfois portées à la taille pendant les dynasties Han, Jin et plus anciennes, la poignée pointant vers le sol et fermement attachée pour éviter que la lame ne quitte le fourreau, ce qui la rendait très difficile à dégainer.



L’obligation de s’asseoir sur les genoux alors que les épées étaient de plus en plus longues, l’étiquette qui imposait de ne pas pouvoir dégainer facilement son épée lors d’interactions sociales et peut-être aussi une mode pour les nobles qui portaient des épées plus pour montrer leur statut que pour être de véritables escrimeurs3, sont quelques-unes des raisons possibles de cette pratique. Néanmoins, cela allait totalement à l’encontre de la nécessité d’avoir son arme prête et facilement dégainée en ce qui concerne les artistes martiaux et, en fait, pourrait être la raison pour laquelle le roi Zheng4 a failli être tué par l’assassin Jin Ke, n’étant pas en mesure de dégainer immédiatement son épée.

Si même à l’époque où ce type d’armes était vraiment utilisé, l’interaction avec le monde civil pouvait forcer les pratiquants d’arts martiaux à adopter ce genre d’habitudes dangereuses, il est facile de comprendre comment une conversion complète à la sphère civile peut changer les pratiques, surtout quand on n’a plus l’occasion d’acquérir une véritable expérience sur une base régulière.

Les objectifs de l’entraînement régulier ont également évolué en fonction de ce que l’école vend, de la compétition physique à l’autodéfense en passant par l’éveil, les besoins sont différents et les exigences physiques aussi. Dans la sphère civile, la nécessité d’être fort et vigoureux, de ralentir le processus de vieillissement, peut ne pas être opportune, ou tout simplement ne pas correspondre à ce que les gens recherchent comme loisirs. Néanmoins, il peut être intéressant de noter que ce dicton ne met pas l’accent sur les compétences, mais simplement sur la vigueur, la jeunesse et la robustesse physique. La logique est en fait assez simple : il faut d’abord améliorer le corps et la santé, puis l’esprit, car un corps et un esprit plus forts permettent naturellement d’en faire plus5. Si les compétiteurs d’arts martiaux sont en accord avec ce dicton, les professeurs au gros ventre et à l’essoufflement facile, issus d’une mauvaise compréhension du concept de non-force et des techniques de respiration, sont loin de répondre à cette exigence. Autrefois, un pratiquant d’arts martiaux devait être capable de porter un poids important sur lui, de monter à cheval ou de marcher pendant des heures, de rester debout ou allongé pendant longtemps, d’être sinon imperturbable au moins très résistant face aux intempéries… autant de qualités qu’un corps athlétique pouvait lui apporter. Et si les pratiques internes avaient une idée légèrement différente de ce que pouvait être un tel corps, elles devaient toujours quand même conduire aux capacités mentionnées ci-dessus.




Un corps fort pour pouvoir manier aisément une arme et de l’expérience pour comprendre les dangers auxquels on s’expose en combattant avec elle. D’autres billets essaieront de développer plus en détail ces qualités.




1. « Pratiquez ce que vous prêchez » est le sens commun de ce proverbe.
2. Il s’agit en fait d’un des rares dictons chinois où les livres ne sont pas vénérés, car il souligne la nécessité d’acquérir une expérience réelle. La culture chinoise, bien sûr, a tendance à accorder une grande valeur aux livres, comme l’illustrent des dictons tels que 書是隨時攜帶的花園, le livre est un jardin que l’on porte à tout instant, ou 好書如摯友, un bon livre est comme un ami proche.
3. Certaines lames d’épée étaient même parfois en bois, car elles n’étaient portées que pour l’apparat.
4. Qui devint plus tard le célèbre Qin Shi Huang, fondateur de la dynastie Qin.
5. À mettre en perspective avec l’adage 功到取成.

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