lundi 11 mars 2019

La Bonne Intensité, Le Bon Moment



練功講究火候
L’entraînement fait grand cas du moment crucial

一日練一日功,一日不練百日空
Un jour de butin pour une journée d'entraînement, cent jours vides pour une journée sans entraînement.




S'il y a une ancienne méthode définitivement perdue de nos jours, c'est celle du tournant décisif, le moment crucial dans l’entraînement qui implique essentiellement de devoir faire le bon effort au bon moment.
En effet, l’entraînement moderne n’étant plus 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et ne cherchant plus à transformer le corps en profondeur, cette méthode est devenue obsolète. Cette question de timing est très proche de celle de la fabrication d'une épée, quand et comment sont cruciaux, d'où l'utilisation du 煉 au lieu du 練 dans certains textes concernant l’entraînement.
Recherchant une transformation profonde des tissus, des os et des organes pour le moins, profitant de la puberté, les anciennes pratiques avaient conçu un entraînement modifiant profondément le corps et son métabolisme, l'une des méthodes disparues étant l'emblématique « entraînement des vierges ». Dans celui-ci, rien ne pouvait être laissé au hasard, tout événement inattendu pouvait littéralement et définitivement ruiner le résultat visé, le professeur devant surveiller son élève 24 heures sur 24, même le monde des rêves étant un problème.
Si de tels entraînements ne sont pas applicables au rythme moderne, il peut encore être utile de comprendre comment cette question du moment crucial était gérée dans le passé et comment certains de ses principes pourraient encore être appliqués dans le monde des loisirs.




I. Pas une Minute de Repos

Probablement, le meilleur exemple de moment crucial dans les arts internes est la puberté, parce que la rapidité des changements physiques du corps est évidente. Tout en gardant à l'esprit la nécessité d'éviter les exercices violents, profiter de l’instant décisif était souvent synonyme de savoir quand s'entraîner avec une intensité extrême et quand ne pas le faire, afin de pousser son corps au tout juste bon moment, ce qui permettait qu'il subisse un changement radical.

a. La Puberté
Pour les artistes martiaux, même s'il y a des bénéfices à s'entraîner dès le plus jeune âge, le moment le plus crucial est en fait la puberté. En d'autres termes, pour toute formation qui ne se poursuivait pas jusqu'à la fin de la puberté, certains des avantages d’un apprentissage dès le plus jeune âge pouvaient être perdus. Par conséquent, certains enseignants étaient plus enclins à ne pas s'ennuyer et n'entraînaient que des adolescents proches de la puberté, pas de très jeunes enfants.
Dans ce cas, il s'agissait surtout d'influencer les changements que le corps subissait au niveau de ses organes. Ce qu'on appelle l'alchimie interne visait la capacité d'amener les organes du corps à produire une chaleur aussi élevée que possible. Pour renforcer le corps, on utilisait également une méthode de trempe déjà décrite dans Entraîner, Raffiner, Tremper. Une autre formation spéciale consistait à mettre un élève dans un sac rempli d'herbes médicinales chinoises et à demander à d’autres de donner des coups de pied dans le sac. D’une façon générale, la puberté était le moment idéal pour tous les entraînements extrêmes, parce que cela allait influencer le corps pour la vie, le corps devenant adulte à la fin de celle-ci.
Parce qu'il s'agissait d'un processus très précis et détaillé, afin d'atteindre le moment crucial de ce qu'on appelait la « formation des vierges », l'enseignant devait s'assurer que l'élève soit constamment au sommet de sa vitalité. Pour ce faire, il fallait une surveillance 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Parfois, lorsque l'enseignant n'avait qu'un seul élève, il devait trouver des moyens de maintenir la surveillance pendant les heures de sommeil. Ainsi, outre les compétences qu'ils peuvent apporter, dormir sur une corde, dans un petit sac, tenir une heure en équilibre sur la tête avant le sommeil et ainsi de suite... sont tous des restes d'une époque où le professeur ne pouvait pas surveiller l'élève et devait s'assurer qu'il ne tombe pas dans un sommeil incontrôlé.

b. Intensité Extrême
Si la puberté apportait des changements extrêmes permettant un entraînement tout aussi extrême, le timing était aussi de savoir quand un entraînement encore le plus intensif possible apporterait une compétence supplémentaire, alors que la plupart du temps il ne ferait qu’améliorer les compétences existantes.
Un reste d'une telle formation est ce que l'on appelle souvent les « compétences de cent jours », certaines habilités à entraîner sans relâche pendant une telle période tout en augmentant l'intensité jour après jour. Après une telle période, elles sont acquises pour la vie. En cas d’échec, il faut tout recommencer, d'où la deuxième citation*. Par conséquent, l'entraînement est parfois comparé à l'apprentissage du vélo (c'était probablement la façon d'apprivoiser un cheval avant). Il faut essayer encore et encore sans interruption jusqu'au moment où l’on tient finalement en équilibre. Une fois appris, c’est pour toujours. Par contre, si l’on s’arrête pour remettre au lendemain, il faut alors repartir complètement à zéro.
Une autre chose était l'alchimie interne, plus particulièrement atteindre une chaleur extrême. Outre le fait de devoir être en parfaite forme physique et en bonne santé, l'entraînement à la chaleur pour transformer en profondeur les organes est un processus exponentiel où le timing est encore plus crucial, car il n'y a qu'une petite fenêtre d'opportunité qui permet d’atteindre celle-ci.

Si de tels entraînements ne sont pas seulement hors de portée d’une pratique de loisir, quand ils ne sont pas tout simplement perdus, le principe du timing peut rester applicable en ce qui concerne l'intensité.




II. Crucial Et Loisir

D'une certaine manière, s'entraîner en fonction de sa forme et de sa santé, décrit dans un article précédent, est une application moderne du principe du timing. En approfondissant un tel principe, il est encore possible d’utiliser la méthode du moment crucial lorsque l’on essaie d'atteindre un certain stade ou lorsque le corps rejette tout changement. Néanmoins, cela est limité aux personnes qui s'entraînent au moins trois heures par jour. Plus important encore, il faut vraiment avoir une profonde conscience de son propre corps, ce qui n'est pas une chose facile et peut la plupart du temps et nécessite le plus souvent l'avis d'un médecin. La possibilité de s’entraîner jusqu’au moment crucial reste dans les loisirs l'affaire d’une infime partie des pratiquants.

a. Point de Rupture
Certains exercices, même dans le cadre des loisirs, visent aussi une habileté s'apprenant exactement de la même manière que le vélo. Par conséquent, une fois commencé, il faut s'assurer que, pour le moins, une pratique journalière est maintenue et y ajouter de l'intensité quand cela s’avère possible (le facteur santé) jusqu'à cela devienne une seconde nature. Le point de rupture est alors, cette fois-ci, lorsque le corps s'est suffisamment transformé pour inclure naturellement l’habilité visée.
Un exemple très simple tiré des vieilles pratiques et encore applicable de nos jours peut être donné: la posture. La plupart des anciennes pratiques connaissaient une posture principale, souvent prise aujourd’hui pour une garde à tenir. L'idée était d'entraîner une telle posture dès le début, tous les jours et à n'importe quelle séance d'entraînement, jusqu'à ce que le corps puisse prendre les bons angles parfaitement, automatiquement et inconsciemment, surtout ceux du bassin, des jambes et des pieds. Arriver à le faire signifiait que le point de rupture où les fascias avaient gagné assez de souplesse pour prendre une telle posture et que l’inconscient l'avait enregistrée comme position habituelle était dépassé. Seulement alors on pouvait envisager le mouvement tout en gardant les bons angles.

b. À Contre Cœur
Ceux qui ont une formation régulière de trois heures ou plus ont pu expérimenter les différentes façons dont le corps essaie de rejeter toute nouvelle transformation pour laquelle on s'entraîne. Fatigue soudaine, fébrilité, douleur, se sentir ou même tomber malade sont les plus fréquents. Si, dans ces cas précis, on ne se force pas à continuer l'entraînement, le corps finit par revenir à son état antérieur. Atteindre à nouveau une tel point de transformation prendra beaucoup de temps.
De ce fait, tous les états décrits sont, peut-être, un signe que l'on se rapproche de ce fameux point de rupture et que le corps, étant une machine très conservatrice, proteste et essaie tout pour empêcher la transformation. Maintenant, le problème est que tous ces signes peuvent aussi tout à fait provenir d'un réel problème physique ou physiologique. Par conséquent, le besoin de se connaître physiquement et mentalement en profondeur, en particulier les défauts que l'on cherche constamment à cacher, est de la plus haute importance. Il est également nécessaire de consulter un médecin, une évaluation professionnelle externe, pour vérifier si un tel état est lié à un « point de rupture » ou à un réel problème physique ou mental. Chaque signe correspond généralement à un point spécifique dans l’entraînement. Mais, de toute façon, il faut auparavant obtenir l'avis d'un médecin pour vérifier qu’il ne s'agisse d'un réel problème de santé. Donc, seulement s'il ne s'agit pas d'un véritable problème de santé :
- La fatigue arrive à un moment juste avant que le corps ne se transforme de façon presque irréversible. À ce stade, on peut ressentir une fatigue soudaine juste avant l'entraînement (semblable à la réticence à se jeter dans de l'eau froide). Plus fortement, on peut se sentir comme malade.
- La douleur, lorsqu'elle n'est pas due à une blessure (encore une fois, allez d’abord voir votre médecin) ou au fait de pousser votre corps au-delà de ses limites (ce qui doit aussi être évité), vient la plupart du temps pour un adulte du fait qu’une certaine partie du corps est en train de se « réparer ». Réparer son corps est douloureux et si on ne peut pas surmonter d’avoir mal, la partie douloureuse ne se réparera jamais correctement. La douleur peut aussi venir de postures où l'on essaie de se détendre le plus possible (beaucoup en éprouvent au niveau des épaules par exemple).
- La maladie, en dehors d'un problème de santé diagnostiqué par votre médecin, survient parce qu'on commence à nettoyer ou à rééquilibrer ses organes. De telles choses affaiblissent le corps et souvent se traduisent par une bonne grippe. Les élèves en très bonne santé avaient la possibilité de faire passer une telle grippe par une bonne transpiration, mais la plupart des pratiques de loisir ne peuvent pas fournir ce genre de santé hors du commun, transpirer fortement pour faire passer une grippe devient alors plus que déconseillé. Ainsi, en exception au fait de devoir continuer à s’entraîner coûte que coûte, il vaut mieux alors prendre d'abord le repos nécessaire pour récupérer, puis de recommencer à s'entraîner à nouveau exactement de la même façon qu’avant de tomber malade. Le processus peut devenir assez long, mais essayer de se débarrasser d’une grippe en transpirant fortement rend encore plus malade dans le cadre des loisirs. En effet, cette vieille méthode martiale pour se débarrasser de l'accidentel coup de froid ne peut malheureusement pas s'appliquer à la vie moderne.
- La fébrilité est un autre problème. Dans ce cas, il faut se rappeler la différence entre les pratiques dites orthodoxes et les anormales. Ces dernières utilisent des émotions exacerbées pour générer de la puissance tandis que les premières le vide. Notre corps étant une machine émotive, il résiste très farouchement lorsqu'on essaie d'apprivoiser ses émotions, ce que font les pratiques dites orthodoxes lorsqu’elles essaient d'atteindre le vide. De plus, plus on se rapproche du vide émotionnel, plus les émotions restantes seront fortes, surtout en dehors de l‘entraînement. Respirer et travailler sur le cœur sont les solutions pour garder son calme jusqu'à ce que l'on s'habitue complètement à être moins émotif. Les pratiques anormales n'ont pas ce genre de problème, bien sûr, puisqu'elles semblent plus suivre plus les besoins du corps à l'origine. Leurs problèmes sont davantage liés à la réalité d’un état émotif en dehors de l’entraînement.




De nos jours, beaucoup de gens viennent aux arts martiaux pour devenir plus forts. Il est vrai que, physiquement et mentalement, les arts martiaux peuvent rendre quelqu'un plus fort. Pourtant, le fait que la plupart des pratiques s'adressaient en fait à des adolescents déjà forts mentalement et physiquement a été oublié depuis longtemps. Cela soulève la question de certaines formations qui n'étaient pas du tout adaptées aux personnes faibles, en particulier celles mentales. En effet, certaines d'entre elles nécessitent un esprit sans traumatisme, pas même petit. L'entraînement en état de déséquilibre mental fait ressurgir ses démons, un problème connu dont est issu un proverbe chinois qui décrit quelqu'un d'envoûté, de totalement obsédé: « 走魔入火 ».





*A comparer avec celle de Petit À Petit, l’Oiseau Fait Son Nid.

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