lundi 18 mars 2019

Une Lumière Fugace



彷彿若光,影逐形追
Comme un semblant de lumière; les ombres se succèdent une à une, poursuivant des formes.


追 pourchasser (ou courir) après; poursuivre 
形 forme; aspect 
逐 Poursuivre; courir après; chercher à obtenir, chasser; un à un 
影 ombre; reflet; vague impression 
光 brillant, lumineux; rayon (de lumière); nu; épuisé 
若 comme si, comme 
彿 tout comme; ressembler à 
彷 comme; avoir l’apparence de 





En essayant d'élargir le sens de la citation, la première chose qui frappe le lecteur est que la deuxième partie semble être écrite dans le mauvais ordre*.
Par conséquent, le présent billet a inversé son ordre. Comme ce texte est relativement ancien, une grande partie de ce qui semble faire historiquement partie de la culture chinoise n'est peut-être pas pertinent.
En utilisant la méthode de l'énigme pour interpréter un tel texte, il est possible de mettre de côté la nécessité d’une pertinence. Néanmoins, dans ce cas particulier, il peut être intéressant de l'examiner brièvement. En effet, le printemps et l'automne de Wu et Yue, considérés plus comme un roman historique que comme des documents historiques, ont été compilés par Zhao Ye, 趙曄, pendant la dynastie Han orientale (25 après J.-C.) alors que le roi Goujian a régné entre 496 et 465 avant J.-C. Le bouddhisme n'avait pas encore été introduit en Chine sous son règne et le sera plus tard sous le règne des Han orientaux. De plus, si le taoïsme existait effectivement sous la dynastie Han, ce n'était pas le cas sous le règne de Goujian bien que certains de ses concepts étaient déjà présents, le Livre des Changements étant déjà un classique par exemple. De ce fait, la première partie de ce billet décrit certaines expansions et leur lien avec l’entraînement, la seconde laisse entrevoir d'autres pistes qui pourraient également être explorées.





I. Simples Développements

Deux extensions faciles peuvent être trouvées, la première étant de lire la phrase dans l'ordre inverse, comme le suggère la deuxième partie. La seconde est l'utilisation des radicaux 彡 et 彳, du fait qu’ils sont tous les deux composés de trois traits, l'un situé à gauche et l'autre à droite, un possible lien avec la théorie du pair et de l’impair parfois utilisée dans les arts martiaux.

a. Inversé
光若彿彷 inversé devient 彷彿若光, ce qui peut se traduire par « comme une lumière apparente », un énoncé beaucoup plus compréhensible. Cet ordre inversé se retrouve dans une phrase quasi identique à un caractère près dans Les Archives De La Source Des Pêchers En Fleurs** de Tao Yuanming : « 山有小口, 髣髴若有光 »***.
Inversant la deuxième partie, la première chose à faire est de vérifier la signification de la première partie, elle aussi alors inversée : 影逐形追, « ombres, une à une pourchassant des formes ». Comme mentionné dans le post précédent sur le sujet, les ombres peuvent référer à l'entraînement des organes et des vapeurs. Ainsi, cette phrase inversée peut être considérée comme une mention d'une méthode souvent utilisée qui consiste à avoir quelques postures supposées travailler chacune sur un certain organe, une certaine ligne de fascias et la ligne de méridiens correspondante .
Pourtant, à plus grande échelle encore, écrire à l'envers fait ressortir une autre pierre angulaire des anciennes pratiques, la méthode inverse, que l'on retrouve au moins dans trois cas :
- Externe, où certaines écoles ont beaucoup de clés dans l’apprentissage qui sont contenues dans l'exécution des formes/mouvements en mode rebobinage******.
- Interne, où il s’agit d’inverser le flux de certains fluides ou vapeurs dans le corps.
- Le processus de vieillissement après la puberté, qu'il soit externe ou interne. En effet, l'immortalité légendaire et exagérée n'était pas un but pour les taoïstes. Partir plus tard et en meilleure santé n'était qu'un moyen impartial de juger du bien-fondé de sa pratique. Par conséquent, plus on était capable de ralentir, voire même d'inverser le processus de vieillissement, plus on était censé être proche de l’Éveil.

b. Pair et Impair
Sans même inverser l'ordre, une autre particularité de cette citation est la présence de deux radicaux à trois traits dans deux caractères, à droite pour deux caractères dans la première partie de la déclaration et à gauche pour deux d'entre eux également dans la seconde partie. Cela peut donner un certain nombre de pistes de recherche telles que :
- Étudier d'abord la droiture, donc les postures droites, puis la gaucherie, donc des postures aux angles bizarres.
- Les principes Féminin et Masculin, en commençant par étudier le Masculin, l'évident et le mouvement, pour finir par le Féminin, l'obscur et l'immobile.
- Trois traits pour les trois trésors, d'abord externes (fascias, os et peau) et ensuite internes (essence, vapeurs et esprit). Pour en revenir à la méthode, il faut d'abord étudier les méthodes externes, puis les méthodes internes.
彡 signifie cheveux tandis que 彳 petit pas ou en marchant avec le pied gauche lorsqu'on l'oppose à 亍 dans marcher, 行. D'une certaine manière, on pourrait soutenir que, dans ce cas, 彡 fait référence à 亍 et que l'utilisation des deux radicaux est une manière indirecte de dire que les arts martiaux sont l'étude des mouvements, 行, qu'ils soient visibles, 形, ou invisibles, 影, leur direction, 方, ou leur absence, 弗.






II. Autres Voies 

On peut explorer plus en avant les théories des Huit Trigrammes et de la Grande Ourse. 

a. Pré-Taoïsme
Quelle que soit la tentation, on pourrait penser que 若 et 彿 sont en fait une référence au bouddhisme*******, élargir le texte avec des notions bouddhistes semble anachronique pour le moins et ne pas servir à grand chose (à moins, bien sûr, de trouver quelle notion bouddhiste rattachée à ces caractères pourrait avoir un impact sur son entraînement).
Le problème réside davantage dans le taoïsme, certaines des théories sur lesquelles il se base pour être déjà présent, comme le Livre des Changements, d'autres pas encore.
En outre, les études d'arts martiaux étant principalement orales à cette époque, certains concepts pourraient ne pas se trouver dans les écrits contemporains et pourraient être apparus plus tard ou avoir disparu.
Par exemple, des deux extensions ci-dessous, la première pourrait être historiquement pertinente tandis que la seconde non.

b. Huit Trigrammes, Grande Ourse?
En se référant au Bagua, 彡 représenterait Qian ☰, le Ciel, et 彳Xun ☴, le Vent. Normalement Qian ☰ s'oppose à Kun ☷, la Terre, dans la version de Fuxi dans le ciel Antérieur, et Xun ☴ à Li ☲, le Feu dans celle du roi Wen dans le ciel Postérieur. Une telle opposition dans les radicaux peut n'être qu'un moyen d'entraîner à la fois les cieux Antérieur et Postérieur. Opposer ☰ et ☴ peut également se référer à la théorie du pair et de l’impair décrite dans le chapitre précédent. 
彿彷 est également particulier tant dans l'écriture que dans l'ordre des caractères. Non seulement l'ordre est inversé, mais les deux caractères peuvent être écrits d'un trait en moins 仿佛 ou d'une manière totalement différente 髣髴. Cela peut laisser beaucoup de clés pour l'entraînement de ceux qui sont curieux d'aller plus loin. Un exemple rapide est que 佛 habituellement prononcé fó se prononce aussi bì, devenant le synonyme de 弼, aider. 右(gauche)弼 est aussi le nom d'une des deux étoiles presque invisibles « apparemment comme une lumière » à côté de la Grande Ourse. Quand on sait que la Grande Ourse est aussi une énigme taoïste pour trouver dans son corps des points d'alchimie interne, surtout quand on cherche le fameux 玄機, le « secret abscons ». En effet 玄機 est aussi supposé être un endroit dans son corps qui fonctionne telle une source ou une roue à eau.



Une telle citation est un bon exemple de la principale difficulté à travailler sur des textes anciens avec la méthode de déchiffrage. En effet, l'interprétation conduit à donner des significations qui n'étaient pas voulues par l'auteur ou qui ne pouvaient même pas être comprises à l'endroit ou au moment de tels écrits. Cependant, il ne faut pas oublier que ces textes, lorsqu'on utilise la méthode de déchiffrage, ne sont pas des règles à suivre à la lettre, mais une aide pour comprendre et approfondir ses propres connaissances dans sa pratique et surtout en ce qui concerne notre méthode d’entraînement. Par conséquent, même si l'on doit tenir compte de ce que l'auteur voulait dire, la vérité ou la fausseté d’une interprétation propre repose davantage sur notre propre capacité à la mettre physiquement à l'épreuve. En effet, l'interprétation de textes anciens n'est pas seulement un exercice intellectuel, elle doit aussi avoir un impact physique.




*彿彷, pour le moins, ne semble pas être une écriture inversée reconnue de 彷彿. Certains dialectes ou même le chinois inversent parfois l'ordre de leurs mots, comme 喜歡, aimer, qui devient 歡喜 dans les dialectes cantonais et shanghaïen. 歡喜 se retrouve dans les dictionnaires chinois, pas 彿彷. Il reste peut-être une hypothèse plausible que 彷彿 aurait pu être écrit 彿彷 sous le règne de Gou Jian, mais cela ne rend pas la déclaration plus claire, seule l'inversion de la phrase semble donner plus de sens.
**陶淵明〈桃花源記〉. Une telle fable a été écrite vers 421 sous la dynastie Jin.
***彷彿 est aussi parfois écrit 髣髴.
****Exactement comme si on rebobinait un film, pas seulement juste reculer où l’on avance.
*******若, ruò, peut aussi se prononcer rě lorsqu'il est utilisé pour décrire des termes bouddhistes tels que 般若, la plus haute sagesse pour prajña en sanskrit, ou 蘭若, abréviation de 阿蘭若, une manière d'appeler un temple bouddhiste venant également du sanskrit Aranyakah. 彷彿 est aussi souvent écrit 仿佛. 佛 de sa signification originale a évolué pour être utilisée comme une abréviation de Bouddha.


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