vendredi 18 mai 2018

Tigresse, Une Douce Demoiselle


見之似好婦,奪之似懼虎

見 paraître, avoir l’air de
之 « alors » (之 a de multiples utilisations en tant que particule, certaines sans signification vraiment particulière. Le traduire en alors est juste pour éviter de ne pas le mentionner), pour, sortir.
似 similaire à
好 bon, beau
婦 femme, délicate, servir
奪 prendre par la force, s’emparer de
懼 peur, terreur, effroi, menacer
虎 tigre


« Avoir alors l’air d’une douce demoiselle, se battant alors comme un tigre menaçant »






Cet énoncé apparemment très simple a en fait un large éventail d'applications, de l’entraînement au comportement, externes aussi bien qu'internes. Sa signification générale est en fait assez proche du proverbe « une main de fer dans un gant de velours ». Ce billet traitera d'abord de la nécessité d'être une douce demoiselle.
Avoir une carrière dans la guerre, les forces de sécurité, la protection..., on finit toujours par blesser ou même tuer des gens. Cependant, tout affrontement entraînant le risque de perdre sa propre vie, les artistes martiaux savaient qu'ils étaient à éviter à tout prix, surtout en dehors de sa profession. En effet, étant connu et reconnu comme un artiste martial, les ennuis avaient tendance à venir facilement. Par conséquent, avant et après l'affrontement étaient presque aussi importants que le combat lui-même. Ainsi, la façon dont on était perçu dans la société était très importante et les vieux artistes martiaux, qui avaient plus de jugeote, savaient qu'ils devaient éviter d'être perçus comme des menaces, donc il fallait avoir l'air gentil ou calme, amical, voire faible... Les histoires sur les anciens maîtres parlent parfois de cette personne faible, maniérée ou gentille, qui surprend tout le monde quand elle se révèle comme un étudiant des arts. Pour ce billet, ces qualités se résument à la nécessité de ressembler à une douce demoiselle.
Une douce demoiselle souligne la nécessité d'avoir l'air délicat et soumis dans la vie de tous les jours tout en gardant un corps agile et en étant toujours sur ses gardes.




I. Délicat et Soumis
Loin de l'apparence de l’homme coriace que beaucoup de gens qui pratiquent aujourd'hui recherchent, l'opportunité a dicté aux artistes martiaux d'autrefois d'apparaître dans la vie civile comme non menaçants et serviles, puisque le sens original de 婦 était de « servir », voire d'attirer la sympathie en ayant l'air frêle. En effet, la première qualité réduit considérablement les chances de confrontation tandis que la seconde mettra, quand l’affrontement ne peut plus être évité, la foule de votre côté.

a. Jamais Menaçant 
Un mot souvent utilisé par les artistes martiaux est 忍, supporter, endurer, tolérer, qui est souvent interprété comme une qualité nécessaire face à la dureté des entraînements. Mais, cela était aussi une qualité à utiliser dans la vie de tous les jours. En effet, dans le cas d'une dispute, un artiste martial devait garder son air doux, se laisser insulter, voire harceler, tant que sa vie n’était pas en danger. Être ignoré dans la vie civile était, en fait, la félicité qu'il visait, sachant que la gloire dans sa carrière ne pouvait qu'apporter le désastre.
Cette attitude discrète est encore en partie conseillée de nos jours dans certaines écoles modernes d'autodéfense afin d'éviter les affrontements inutiles. Pourtant, à l'époque où l'on faisait carrière en tuant les autres, c'était une exigence encore plus grande pour mener une vie civile paisible loin de son travail. 

b. Attirer la Sympathie
Le deuxième but de se comporter comme une douce demoiselle était d'utiliser la foule chaque fois que possible comme protection, ou pour le moins comme témoin emphatique. En effet, une foule emphatique pouvait, au mieux, empêcher une confrontation et, au pire, ne pas vous rejeter la responsabilité de l’affrontement. « Un type si gentil qui n'avait pas le choix et qui répondit, à contrecoeur, à l'agression » était ce qui était recherché. Par conséquent, dans la vie de tous les jours, un artiste martial se devait d’être le gentil garçon du coin, toujours prêt à aider chaque fois qu'il le pouvait, toujours poli et souriant.

Si ressembler à une demoiselle était en premier destiné à l'extérieur, il y avait, en fait, aussi un but intérieur, avoir un corps agile et être prudent.



II. Agile et Prudent
Ressembler à une demoiselle signifiait aussi essayer d'être physiquement comme celle-ci, parce que les femmes sont, en général, plus flexibles que les hommes. Cela impliquait également de se comporter d'une manière prudente, comme le fait chaque jour une personne qui doit rester vigilante vis-à-vis de la possibilité de prédateurs sexuels.

a. Délicat donc Agile
Les anciennes pratiques internes entraînaient le corps à devenir très tendre, car la tendresse apporte de l'agilité. Cette recherche de tendresse absolue, comme on l'a déjà mentionné à plusieurs reprises dans ce blogue, avait pour effet de donner à un pratiquant masculin un côté raffiné, si ce n'est pas totalement efféminé. Par conséquent, il peut parfois être facile de voir la différence entre ceux qui s'entraînent en utilisant la contraction musculaire, un air dur et costaud, et ceux qui utilisent l'élasticité des fascias, un air délicat et efféminé. Ce genre de tendresse passe par de longs étirements intenses, les muscles totalement relâchés.

b. Docile donc Vigilant
Que ce fût un serviteur ou une belle femme confrontée au problème quotidien des prédateurs sexuels, il fallait être prudent. C'est ce genre d'attitude vigilante que les artistes martiaux recherchaient en se mettant dans la position d’une belle femme. En effet, les belles dames ont souvent le sens de l'autoprotection, faisant plus attention à qui elles vont parler et qui peut les toucher, même par hasard. Être vigilant, c'est ce sentiment d'avoir d'abord évalué le potentiel de danger avant toute autre chose. Ceci était une compétence essentielle pour les artistes martiaux, les élèves testés à n'importe quel moment de la journée, même dans leur sommeil. Dormir sur une corde, par exemple, était un exercice de base destiné à apprendre à garder un minimum de vigilance, même pendant le sommeil.




En tant que passe-temps, beaucoup de ces anciennes règles ne s'appliquent plus ou ne peuvent plus être efficacement transmises. Cependant, il ne faut pas les oublier, car elles sont une des pierres angulaires d'un entraînement martial correct. Une telle attitude, douce et gentille, sera totalement inversée quand s'agira de se battre, la cruauté prévalant alors, « le tigre menaçant ».


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire