dimanche 24 juillet 2016

Transformer le Corps en Premier


三年樁,兩年拳
Trois années de postures, deux années de boxe

百折連腰盡無骨*
Une centaine de vrilles liant la taille, à l'extrême comme invertébré 

練形者,又名曰展筋脫骨**
Qui entraîne la forme, aussi appelé déployer les fascias et enlever les os. 




Chaque type d'athlète a un corps distinct. D’un haltérophile à un marathonien, parce que les capacités physiques requises et les mouvements imposés sont très différents, les morphologies sont très contrastées. Même chez les Artistes Martiaux, on peut parfois reconnaître leur pratique juste en observant leur corps et la façon dont ils bougent.
Pour obtenir un corps en accord avec ses objectifs, deux types d’entraînements peuvent normalement être effectués, ne faire que le mouvement ou avoir des exercices conçus pour améliorer certaines performances. En d’autres mots, un coureur pourra simplement courir ou s’entraîner pour améliorer son tronc, faire des squats, des soulevés de terre… Un danseur pourra soit lever sa jambe pendant qu’il danse, soit travailler à la barre. On peut donc modeler le corps soit en exécutant le mouvement, soit par des exercices améliorant spécifiquement ce qui permet d'obtenir un mouvement correct. Les arts internes, stricts dans leur méthode, considéraient qu’il fallait d’abord transformer le corps pour faire siens mouvement et capacités. C’était, évidemment, des transformations à la fois externes et internes, rendre le corps aussi aligné et élastique que possible afin d’être capable d’utiliser les lignes de fascias efficacement, et les organes plus forts afin d’améliorer la vitalité. C’est pourquoi une grande partie de l’entraînement dans les pratiques internes n’avait rien à voir directement avec le combat, le but était d’abord de transformer le corps, davantage d’élasticité et un meilleur alignement pour les fascias, et un meilleur métabolisme.




Élasticité et Alignements

Parce que les arts martiaux de nos jours sont des loisirs, des activités pour personnes âgées ou de l’amusement pour les enfants, les lourdes transformations physiques requises par les pratiques internes appartiennent au passé. Cela soulève un gros problème, un bâton rigide et une corde souple ne peuvent pas bouger de la même façon; et appliquer des méthodes de contraction musculaire à des mouvements faits pour être réalisés en utilisant l'élasticité des fascias est, pour le moins, problématique. En effet, l’expression sans force est la meilleure force*** ne peut pas être pleinement comprise et appliquée si on continue à compter sur la contraction pour la puissance.
Les arts internes concernaient d’abord la transformation du corps, le rendant aussi élastique que possible, mais tout en conservant certains alignements, spécialement dans les régions pelvienne et du cou, afin de garder les lignes de fascias connectées. C’est pourquoi les premiers exercices étaient des étirements extrêmes, le grand écart et la tête touchant les jambes étant juste le commencement, tout comme tenir des postures spécifiques avec les bras aussi droits que possible.

S’étirer pour Être Élastique
Si l'on fait une recherche sur Internet concernant les exercices de base, en tapant en Chinois 基本功, [jī běn gōng], on peut encore trouver des vestiges du type d’étirements imposés dès le début. Les Artistes Martiaux de l’époque pouvaient totalement se mesurer aux acrobates en termes de souplesse, et aux danseurs quand il s’agissait de la grâce. L’objectif principal de tous ces étirements poussés n’était pas, en réalité, les talents acrobatiques, mais une façon de faire en sorte que la moindre petite partie du corps soit la plus souple possible, d’où la grâce. Cependant, seule une souplesse d’acrobate pouvait permettre d’atteindre les tissus fasciaux profonds, et spécialement ceux des viscères, une partie du corps spécialement surveillée dans les pratiques internes. L’objectif était d’essayer d’obtenir la tendreté que vous pouvez trouver dans une bonne pièce de viande, ni dure comme une pierre, ni trop molle. Cette tendreté dans toutes les fibres du corps, une fois obtenue, avait un impact externe facilement visible sur les étudiants masculins, ils devenaient plus efféminés.

Les Alignements pour la Connectivité
La différence entre les arts martiaux et les acrobaties ou la danse étaient la nécessité de conserver, quelle que soit la souplesse qu’on avait, un corps entier, on ne pouvait pas déconnecter un membre du reste de celui-ci par souci ou pour la beauté du mouvement. Les pieds, les genoux, la région pelvienne et le cou depuis les épaules jusqu’à la tête étaient, pour le moins, des parties importantes où un mauvais alignement pouvait briser la connexion d’une ligne de fascias. Il était donc assez commun de tenir des postures pour forcer le corps à être aligné. Les tenir avec les alignements corrects forçait le corps à s’adapter, étirant certaines parties, augmentant ou réduisant la masse musculaire…, en un mot, se transformer. Cela devait être fait jusqu'à ce que la posture puisse être prise avec les alignements corrects de façon automatique, "定形", stabiliser la forme.

Le mouvement était introduit seulement lorsqu’on était assez souple et correctement aligné en permanence. Évidemment, les élèves étant jeunes, adolescents, le processus était assez rapide, trois années tout au plus. On peut se demander comment, de nos jours, concilier un entraînement conçu pour des élèves très souples, élastiques et alignés avec des adultes qui ont déjà stoppé leur croissance et peuvent difficilement plier leur corps.




Un Meilleur Métabolisme

Pour les pratiques internes, la vitalité venait des organes et était réduite par les émotions. Il était alors important de transformer le corps pour qu’il soit moins sujet aux émotions et de renforcer les organes pour qu’ils produisent de façon plus efficace plus de vitalité.

Sans Émotions
Comme cela a été décrit dans Un Cœur Brumeux, les émotions proviennent d’un déséquilibre des organes et des stimuli externes, des sensations ou de leur absence. Pour devenir aussi dépourvu d’émotions que possible on devait avoir des organes aussi propres que possible et apprendre à contenir les effets des sensations.
Conserver des organes équilibrés a été décrit dans Santé: principalement les garder rangés à la bonne place, un travail sur les fascias viscéraux par des étirements poussés, et les nettoyer en les faisant chauffer, ce qui pouvait être fait en tenant une posture. Fait correctement, les personnes réduisaient leurs besoins alimentaires et se sentaient le plus à l’aise dans un état de légère faim.
Pour les sensations et les désirs, il était courant de voir des élèves tenir la posture du lotus, non pas pour la méditation, mais pour apprendre à se calmer grâce au souffle et à être sans pensée. Fait correctement, leur souffle devenait plus long et plus profond et ils étaient naturellement toujours un peu détachés de leurs sensations, d’où les expressions "voir sans regarder", "manger sans goûter", "entendre sans écouter"...

Des Organes Plus Forts
Une fois de plus, le premier travail était de les garder rangés à la bonne place par des étirements poussés qui atteignaient les fascias viscéraux et plus propres en les chauffant pour évacuer les toxines qu’ils contenaient. Avec le temps, d’autres exercices comme le fait de les secouer étaient introduits. En meilleure forme, les organes étaient capables de digérer plus à partir des apports alimentaires et, donc, d’avoir besoin de moins de nourriture, ce qui signifiait moins de travail digestif, donc plus de temps pour les reposer ou faire des exercices pour les améliorer, un cercle vertueux. Cette amélioration du métabolisme peut être attestée à travers la théorie des extrêmes ****, qui se rejoignent, quand ce cercle vertueux devient un cercle vicieux : la tendance des pratiquants d’interne à être en surpoids. Si ce problème de surpoids dont souffrent de nombreux internalistes de nos jours est dû en partie à la nourriture riche dans nos sociétés modernes et à l’omission du port de la ceinture pendant la pratique des techniques internes de respiration, il vient aussi de l'oubli de la nécessité de changer son régime alimentaire en conséquence. En effet, si on a besoin de moins de nourriture mais qu’on garde un régime alimentaire habituel, on grossira, les organes deviendront plus gros, les fascias viscéraux perdront leur fermeté à cause du surpoids, les organes ne seront pas rangés correctement et l’estomac commencera à être protubérant, ce qui mettra plus de pression sur la colonne vertébrale et déséquilibrera l’ensemble du corps, le métabolisme empirera… A l’extrême, on peut très rapidement passer de bénéfique à malin. Mais il est à la mode d’être en surpoids dans de nombreux cercles internes, que ne ferait-on pas pour la mode. Sans mentionner la légende taoïste d’une pomme tous les six mois, les internalistes n’avaient pas besoin de trois repas par jour, un, pas trop lourd, était plus que suffisant.




Les anciennes pratiques n’étant pas des passe-temps, ce qui venait en premier et en second étaient des sujets très importants. De plus, la pratique étant d'abord pour des adolescents avec des corps facilement modifiables, ce qui permettait aux transformations de se faire rapidement, les pratiques internes visaient d’abord les transformations profondes du corps avant l’apprentissage du mouvement, ou, si on interprète d’une façon inhabituelle l’expression "功到自然成" : une fois que l'on obtient une capacité, elle vient naturellement.




* Chanson de la boxe du taoïste d'Emei 峨嵋道人拳歌
** Canons du changement des fascias, secret des vapeurs liées, discours sur l’entraînement à la forme, 易筋經,貫氣訣,練形論
*** 無力優力

**** 物極必反

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