dimanche 24 juillet 2016

Santé


然而練筋易而練膜難,練膜難而煉氣更難也
Toutefois, l'entraînement aux tendons est facile, mais celui aux membranes difficile; et tout aussi difficile qu'il soit, il l'est encore plus pour les vapeurs.*




Si vous devez rencontrer deux tireurs d’élite et que l’un vient avec une arme dont il n'a pas tellement pris soin et pas en très bon état, alors que l’autre vient avec une arme parfaitement entretenue, vous ne saurez peut-être pas qui est le meilleur tireur, mais certainement qui est le professionnel.
Autrefois, le corps était une machine essentielle pour un artiste martial, il devait être gardé en bonne forme et en parfaite santé. D'ailleurs, si allez voir du côté des unités élites de nos jours, être en grande forme, physiquement très performant et plus robuste que les autres, reste non seulement une obligation mais aussi l’un des premiers critères de sélection. La grande différence est que la technologie moderne a considérablement réduit le facteur humain et la médecine moderne le facteur santé. Autrefois, les déplacements se faisaient à pied ou à cheval et on ne trouvait pas partout des médecins ou des pharmacies, il fallait donc définitivement un corps supérieur en termes d’endurance et de vigueur, ce qui faisait de ces dernières une part essentielle, si ce n’est la priorité, de l’entraînement des unités d’élite. Evidemment, pour les troupes régulières, c’était purement une question de nombre, la santé n’était absolument pas la priorité. Dans le monde du loisir, on peut toujours voir les vestiges de cette problématique avec certaines pratiques martiales prétendant être bénéfiques pour la forme et la santé, mais ce n’est pas une priorité. Dans les entraînements d’autrefois, c’était la première priorité, la question étant, évidemment, à la fois externe et interne et peut être décrite à travers l’exemple de "la poigne et le foie".




Externe et Interne

Jadis, meilleur était l’artiste martial, plus grande était sa compréhension de son propre corps et meilleure sa santé (en écartant, bien sûr, les blessures de combat…). Il n’était pas seulement question de trouver la façon la plus efficace de bouger, mais aussi celle qui endommagerait le moins le corps sur le long terme. Pour les troupes régulières, cela importait peu évidemment, il s’agissait de trouver la façon la plus rapide et efficace d’apprendre les bases du combat. Différentes troupes, différents objectifs d’entraînement. Conserver un corps sain concernait principalement la colonne vertébrale et les articulations pour l’aspect externe et principalement les organes pour l'interne.

Externe
La rectitude était ce qui était recherché pour la colonne vertébrale et l'alignement pour les articulations.
On peut imaginer qu'en tant que troupe d'élite, si vous aviez à marcher ou à monter à cheval pendant 50 km, chargé de tout votre équipement, puis à rester immobile pendant des heures avant d’aller vous battre, commencer avec des douleurs dues à un mauvais dos n’était définitivement pas possible. La colonne vertébrale est la partie centrale du corps, une composante très importante du système nerveux central. L'ajustement de la colonne vertébrale peut avoir un certain impact sur l'amplitude du mouvement des articulations, la force et les réflexes. Les anciennes pratiques considéraient que les deux extrémités de la colonne, les vertèbres lombaires, le sacrum et les vertèbres cervicales, devaient être maintenues aussi droites que possible tant en mouvement qu'à l’arrêt, à l'exception de certains étirements spéciaux destinés à améliorer la mobilité du bas du dos et de la tête. Il s’agissait donc de redresser les courbes du sacrum, des lombaires et des cervicales. D'où les expressions "尾閭中正", le coccyx doit être droit et centré, "鬆腰坐胯", relâcher la taille et asseoir les hanches, et "頂要懸", le haut du crâne est comme suspendu. Dans la recherche de l’efficacité, il était aussi important pour un artiste martial de trouver une façon de bouger qui ne blesserait pas la colonne vertébrale. Toutes les pratiques aboutissant à des douleurs au niveau du dos ou du cou auraient été ainsi écartées car considérées comme non bénéfiques sur le long terme. L’estomac et la poitrine jouaient aussi un rôle important pour soulager la colonne de toute contrainte, d'où les expressions "含胸", contenir la poitrine et, "腸肚入槽", l’estomac et les intestins rentrent dans la mangeoire/la raie.
La même logique était appliquée aux articulations, tout ce qui pouvait mener à des blessures était exclu de l’entraînement. D’où les alignements pour leur éviter de prendre un angle dommageable sur le long terme, comme "沉肩墜肘", abaisser les épaules et laisser tomber les coudes. Une attention particulière était dédiée aux genoux, qui devaient être pliés avec le moins de tension possible, avec des expressions comme "膝不過腳尖", les genoux ne croisent pas les extrémités des pieds, et "鬆腰坐胯", relâcher la taille et asseoir les hanches, utile à la fois pour la colonne et les genoux.
Il y avait aussi des entraînements pour améliorer la souplesse de la colonne et des articulations, principalement en s’étirant, certains d’entre eux assez extrêmes, ou même certains pour réaligner les vertèbres ou soulager les genoux des pressions quotidiennes comme ceux où on commençait par se suspendre par les pieds.
Évidemment, il ne fallait pas faire seulement attention au corps, les organes étaient aussi une préoccupation majeure.

Interne
Comme la force est pour une grande part due à la vigueur, et que la vigueur vient principalement des organes, les artistes martiaux essayaient de les garder en bonne forme. Si le régime alimentaire et le style de vie étaient importants, ils devaient aussi trouver des moyens de maintenir et d’améliorer les organes à travers des exercices. Toute une série ciblait cette question, de nos jours connu à travers le terme 內功 [nèi gōng], exercices internes, utilisant des techniques spéciales de respiration définies par le caractère 息, incluant 吐納 "expirer le vieux et inhaler le neuf"**, et 吞吐, "ingurgiter et régurgiter". Les massages, les étirements extrêmes et la pharmacopée pouvaient être aussi utilisés.
Les artistes martiaux avaient aussi besoin de savoir, et non pas de ressentir, quel était le niveau de santé de leurs organes et quel était leur niveau de vitalité. Premièrement, là où les aspects internes et externes se rejoignent, il fallait avoir les organes bien placés au bon endroit, "五臟六腑,各按其位". Pour cela, l’estomac devait être plat, ce qui est la signification interne de "腸肚入槽", l’estomac et les intestins rentrent dans la mangeoire/la raie. Les autres parties du corps, spécialement les yeux et leur pourtour, étaient une autre façon de vérifier très rapidement sa santé et sa vitalité. Cela permettait aux artistes martiaux de savoir quand s’entraîner et à quoi, aussi bien que les risques et le prix à payer en cas d'affrontement.

Pour comprendre pleinement cette logique, il vaut peut-être mieux donner un exemple, comme le lien entre la poigne et le foie.




Foie et Poigne

Dans un but de démonstration, imaginons juste un escrimeur débutant avec une très simple connaissance et évoluant vers un niveau supérieur.

Ne pouvant pas frapper quelqu’un avec son foie, il s'agissait d'abord de concevoir quelques exercices ciblant la main pour améliorer la prise de l’épée. Puis on se rend compte que le reste du bras, et spécialement les articulations, poignets, coudes et épaules peuvent être une aide, en apprenant à les connecter, la théorie du mouvement. Ensuite, vient la découverte que les angles pris par les articulations peuvent avoir un effet sur la force et la santé de ces articulations, les théories du bon alignement et des vecteurs de force. Plus tard, on réalise que la façon dont le reste du corps bouge a aussi un impact sur la poigne, il faut alors apprendre la coordination, la théorie avancée du mouvement et celle des harmonies. Alors vient la prise de conscience que tout serait bien mieux si on pouvait mettre tout le poids de son corps et sa force dans sa poigne, la théorie de la force entière. Finalement, il s’agissait de trouver les façons d’utiliser seulement les muscles nécessaires, avec le moins d’intensité possible, pour améliorer l’endurance, et c’est la théorie de la souplesse. Au niveau externe, c’était plus ou moins ce qui pouvait être fait.
Or, les pratiques qui donnaient la priorité à l’aspect interne prenaient un chemin différent en ce qui concerne la force du corps entier. Elles considéraient que, pour l'atteindre, il fallait reconnecter toutes ses lignes de fascias, les plus importantes étant décrites dans la section 經絡, le réseau de filaments***, des Canons Internes de l’Empereur Jaune****. Les étirements extrêmes et les alignements ayant pour objectif d’améliorer drastiquement la souplesse de ces lignes, leur élasticité, tant comme capacité de s'étirer (la corde de l'arc) que de se compresser (le ressort), étaient les moyens d’y parvenir. En poussant la réflexion se posait la question de ce qui est à l’origine des tissus composant les fascias. La relation spéciale entre ceux-ci et le foie est décrite dans différentes parties des Canons Internes de l’Empereur Jaune : "le foie crée les fascias", "le foie contrôle les fascias", 
"Le foie s'unit avec les fascias, Il prospère aux ongles." et "les ongles sont le surplus des fascias".
Au regard de cette relation spéciale, un foie en meilleur santé signifie de meilleurs fascias, ce qui permet une meilleure poigne puisque tout tourne autour des fascias pour un pratiquant d’Interne. La première chose serait, alors, de faire attention à son régime alimentaire pour qu’il soit le moins défavorable possible au foie. De fait, un changement du régime alimentaire peut améliorer la souplesse de quelqu’un sans qu'aucun étirement ne soit nécessaire. Il n’est pas conseillé, non plus, de faire des étirements poussés après une gueule de bois ou un repas très riche.

Puisque le foie est lié aux fascias, étirer les fascias peut le rendre plus fort. En d’autres mots, les étirements très intenses et/ou des extrémités stimulent le foie. Et un pratiquant utilisera la phrase des Canons Internes de l’Empereur Jaune "Le foie s'unit avec les fascias, Il prospère aux ongles." en prononçant délibérément le dernier caractère 爪 zhuǎ à la place de zhǎo. En effet, ce caractère a deux prononciations, et quand on le prononce zhǎo dans les Canons, il signifie les ongles, mais si le on prononce zhuǎ, il signifie les serres. La phrase prend, alors, un tout autre sens : "Le foie s'unit avec les fascias, Il prospère au travers des serres." En effet, entraîner les serres, en les ouvrant et les fermant, 開爪和合爪°, était le genre de sur-étirement des doigts utilisé pour stimuler le foie. 爪 était le lien entre "其華在爪", il prospère aux ongles, et "其充在筋", sa plénitude est au sein des fascias. Cet entraînement était étendu jusqu’aux pieds, donc 足抓地, les pieds agrippent le sol tels des serres, et jusqu’à la tête à travers les mâchoires menant à 牙爪, une relation spéciale entre les dents et les ongles, la poigne et la mastication. A ce stade, ce n’est pas juste une boucle bouclée, revenant à l’entraînement des mains pour l’amélioration de la poigne, mais aussi une façon de différentier les pratiques externes des pratiques internes, les deux réalisant des exercices similaires avec les mains, mais l’une se focalisant sur l’impact direct sur les mains tandis que l’autre sur le foie.
L’entraînement de l’une des extrémités des lignes de fascias se faisant au travers des mâchoires et avec les dents, cela faisait un lien avec l’entraînement des reins et des os, puisque les reins sont liés aux os, "腎之合骨也", et que les dents sont le surplus des os "齒為骨之餘". Donc, tout en entraînant les fascias on entraînait aussi, par ricochet, les os; et plus les os sont lourds, plus la poigne est forte. De plus, les os et les fascias ont une relation spéciale, puisque la moelle osseuse crée les cellules du foie, "髓生肝". Donc, plus les os sont forts, plus le foie est fort, plus les fascias sont forts, une autre boucle est bouclée. Et on peut partir sur la rate, qui prospère aux lèvres et est contrôlée par le foie, 其榮脣也,其主肝也", et ainsi de suite…

Il faudrait ensuite considérer l’alchimie interne et la façon dont la vigueur affecte les performances et la poigne. Cependant, pour un texte introductif, il vaut mieux en rester à des choses simples connues par tous, les organes et leur importance sur la santé. Ainsi, si quelqu’un décide d’étudier les pratiques internes, la première étape est simplement de commencer à comprendre que son entraînement devrait d’abord se concentrer sur les conséquences qu'il a sur ses organes.




La santé était l’une des premières priorités, une façon de construire une base d’entraînement très solide. C’était essentiel mais pas suffisant, loin d’être la solution à tout, chaque détail revêtant une importance majeure, un peu comme pour les voitures de Formule 1.




*Fascias Change Canons, 易筋經.
**La traduction officielle et très insatisfaisante. 息, 吐納 et même 吞吐 nécessitant des explications séparées.
***經絡, la traduction usuelle est canaux d’énergie, ou méridiens, souvent confondus avec 經脈, alors que dans les Canons Internes de l’Empereur Jaune, la distinction entre les deux est évidente, l’une interne, 脈, le pouls, et l’autre externe, le 絡, filaments, réseaux, donc fascias par extension. Le mot usuel pour fascias est 筋.
****黃帝內經
*****肝生筋; 肝主筋; 肝之合筋也,其榮爪也; 爪為筋之餘
°Ou les plus connues Boules de Boading [boules de santé chinoises], 保定健身球.


Traduction de Séraphine sur Kwoon.org

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