故善攻者,敵不知其所守;善守者,敵不知其所攻*
"C’est ainsi que si l'attaquant est habile, l'adversaire ne sait pas comment se défendre; le défenseur habile, l'adversaire ne sait pas comment attaquer."
Il existe de nombreuses façons de décrire les arts martiaux : 武(舞)技 [wǔ jì], 武道[wǔdào], 武功[wǔgōng], 國術[guóshù], 功夫[gōngfu].... De fierté nationaliste aux aspects spécifiques de l’entraînement, ils expriment différentes visions. Cependant, 武術 [wǔshù] semble être l’appellation la plus commune, et chercher sa signification au-delà de la simple traduction "arts martiaux" est intéressant, un révélateur de l’évolution, des incompréhensions et de la capacité de certaines écoles à jouer avec les caractères chinois au-delà de leur signification habituelle.
Qui n’a pas entendu dire, dans ce monde du copier/coller, que 武 [wǔ] est fait de 戈, la hallebarde, et 止, arrêter, et que donc le but ultime des arts martiaux est d’arrêter la violence, d’apporter la paix ? Un esprit peu subtil dirait que si on ne veut pas de la violence, il suffit de ne pas apprendre ou enseigner aux gens comment se battre. Peut-être les Chinois, dans les anciens temps, étaient-ils déjà conscients de l’art de la communication qui consiste à faire croire aux gens que l'on fait la guerre pour la paix.
Il paraît utile, dans un premier temps et parce que ce n’est presque jamais fait, d'expliquer que le caractère a évolué dans son écriture. De nos jours, 武 semble être fait de 一, un, 弋, flèche, et, 止, arrêter. Et c’est seulement dans les anciennes écritures que 戈 et 止 sont évidents. La modification s’est produite parce que cela rend l’écriture plus facile tout en conservant les éléments constitutifs de 戈, décrit dans les vieux dictionnaires comme étant construit à partir de 弋 et 一 "從弋,一橫之".
戈 était une sorte de hallebarde aux débuts de l’histoire chinoise, une arme d'hast avec une lame en forme de L. Il est souvent défini comme "平頭戟也" une 戟 (jǐ) avec une tête plate, 戟 étant aussi une hallebarde, probablement plus populaire en ces temps. 戈 devint aussi une façon de faire référence aux armes en général, ou à la guerre, comme dans 干戈 (gāngē) ou 兵戈(bīnggē).
止 est le vrai problème parce que sa signification a évolué au cours du temps. Avant de signifier « arrêter », sa première signification était pied, ou empreinte, "下基也。象艸木出有址,故以止爲足", donc en réalité, le mouvement. Une hallebarde et un pied, une indication très simple que quelqu'un a pris les armes pour aller se battre. Une simple description, ni plus, ni moins.
Donc, comment sommes-nous passés de prendre les armes à stopper la hallebarde ? Cela a probablement commencé il y a très longtemps avec le Roi Zhuang de Chu (楚莊王, mort en 531 av. JC) et une phrase entrée dans la postérité, "故止戈爲武", "C’est pourquoi (la capacité) martial(e) est de stopper la hallebarde". Que peut-on dire face à ce grand héros de la Période des Printemps et des Automnes, dont la prouesse tardive a mené plus tard à l’expression idiomatique chinoise 一鳴驚人, un obscur individu ébranle soudainement le monde ? L’accuser d’être la raison pour laquelle, de nos jours, des milliers de personnes croient qu’ils peuvent arrêter des armes avec leurs seules petites mains ?
La première chose à remarquer est que mettre 止 en premier et 戈 en second, ce qui n’est pas la méthode traditionnelle de décomposition du haut vers le bas d’un caractère, est une indication que notre grand roi allait au-delà du sens habituel de celui-ci. En effet, inverser l’ordre peut même, dans quelques rares cas, avoir des conséquences et mener à différentes significations, comme pour 岊 [jié, le sommet] et 岜 [bā, massif rocheux]. C’est pourquoi 止戈 signifie probablement plus déposer les armes que littéralement stopper la hallebarde si on regarde d’un peu plus près le contexte dans lequel cela a été dit.
Le Roi Zhuang venait juste de battre les Jin, l’un de ses plus puissants ennemis, à la bataille de Bi, ouvrant la route à son hégémonie. On lui demanda pourquoi il ne s’était pas conformé à l’usage de faire un tertre funéraire en empilant ses ennemis morts, un 京觀, pour commémorer sa victoire. Dit simplement, sa réponse fut que la guerre devrait apporter la vertu, que la maîtrise martiale devrait éviter toute violence superflue et les guerres d'extermination. Pour ceux connaissant la théorie de la complémentarité du civil et du militaire dans la culture chinoise, 文武兼備, ceci peut être vu comme son application directe. Donc, le Roi de Chu, "故止戈爲武", était plus en train de dire au peuple que les compétences martiales étaient aussi de savoir quand arrêter de se battre et ne pas prolonger la violence indéfiniment.
Toutefois, s’il est définitivement incorrect de dire que la signification originelle de 武 est 止戈 "arrêter la hallebarde", la définition peut aussi être totalement justifiée dans le contexte de certains entraînements ou dans certaines écoles. Et aussi longtemps que le sens originel n’est pas oublié, modifier la définition habituelle d’un caractère à des fins d’entraînement est une habitude courante dans les arts martiaux chinois. Par exemple, "止戈" peut être vu comme s’entraîner à devenir dissuasif. Premièrement, c’est très simple, il s'agit de partir équipé avec autant de protections et d’armes que possible. Pour les escortes professionnelles, les célèbres 鏢局 [biāo jú], il était question d'employer des personnes avec une redoutable réputation ou un corps massif, un peu comme les videurs de nos jours. Dans ce sens, "arrêter la hallebarde" devait être pris plus comme être assez dissuasif pour arrêter ceux qui souhaitaient prendre les armes contre vous. Cela a mené, du côté des pratiques internes, à un entraînement mental spécial dans le but de développer ce que celles-ci appellent 殺氣, l'esprit meurtrier, une aura de mort qui permettrait de garder les gens éloignés de vous. Avant d’obtenir cette aura, il faut d’abord s’entraîner à la présence, ce qui implique que de savoir se tenir, donc de savoir positionner ses pieds. De la nouvelle signification "arrêter" à l'ancienne "pied", la boucle est bouclée.
De plus, “arrêter la hallebarde” n’est pas la seule définition modifiée de 武. Pour certaines écoles, 武 n’est pas composé de 戈 et 止, mais de 戈 et 正 (bien, correct, précisément), les traits 一, du dessus pour 正 et du dessous pour 戈, se superposant. Pour ces écoles, 武 signifie simplement une arme correctement (maniée). Donc l’étude des arts martiaux serait apprendre comment manier correctement une arme.
Comme nous le verrons, 術 a lui aussi bien plus à donner au niveau martial comme caractère que sa définition habituelle.
Ce caractère est fait de 行, bouger, entourant 术, qui n’a aucune signification et correspond à la partie phonétique du caractère. De nos jours, 术 est aussi la forme simplifiée de 術.
Au départ, 術 [shù] signifie un chemin, une route au milieu du pays, et par extension la technique "邑中道也。邑,國也。引伸爲技術". Sa signification a ensuite évolué, art, compétence, méthode, étude et tactiques étant les sens les plus pertinents pour les artistes martiaux.
Mais pour certaines écoles, ce caractère 术 qui ne signifie rien à l’origine est porteur en réalité de nombreuses clés. Il n’est pas uniquement censé représenter un homme, mais aussi contenir certains des principes d'un mouvement correct. Dans l’ordre d’écriture, 术 est un homme avec le bras tendus, 一, la colonne vertébrale verticale et centrée, les jambes sur le côté, 八, le point 丶en haut à gauche représentant la tête ou les yeux.
Les lignes droites représentent le premier principe, l’atteinte de l’unité par la rectitude de l'ensemble du corps, et spécialement de la colonne vertébrale. Les bras et la colonne vertébrale forment une croix, 十, un autre principe appliqué à différentes parties du corps pour, aussi, l’unir. Les bras, la colonne et les jambes formant 木 représentent les bien connues 6 directions, un autre important principe d’entraînement. Ils convergent tous vers un point central qui est supposé non seulement les unir, mais aussi être la source du mouvement, généralement la taille, 腰. Le point ajoute la nécessaire troisième partie de ce qui est considéré avec les bras et les jambes comme étant les racines : les yeux/la tête, 六, un parfait équilibre si le point est centré (et, en bonus, il se trouve que 六 signifie six...). Le point est aussi un rappel que toute cette rectitude devra, finalement, conduire à la rondeur.
C’est pourquoi 術 pour certaines écoles, est “l’art provenant du déplacement du corps avec une méthode incluant la rectitude, le centrage, la croix, les six directions, les trois racines et la taille, tous menant finalement à la rondeur". Avec peu de divertissements à cette époque, jouer avec les caractères semblait très divertissant.
Donc, de la définition basique de 武術 comme arts martiaux à celle plus complexe "art provenant du déplacement du corps avec une méthode incluant la rectitude, le centrage, la croix, les six directions, les trois racines et la taille, tous menant finalement à la rondeur, dans le but de manier correctement une arme", on peut trouver des définitions variées, comme "l’art de stopper la hallebarde", en fonction des différents besoins liés à l’entraînement. Il est intéressant de remarquer que toutes évoquent les armes, pas de main vide ici. Et comme matière à réflexion, là où il y a un recto, il y a un verso, ou tout a un côté externe et un côté interne. Cette possible longue définition de 武術 est la définition externe, concernant le corps, il y a évidemment une définition interne, utilisant les mêmes caractères, traitant des émotions et des organes.
*孫子兵法,第六篇,虛實. L'Art de la Guerre, Sunzi, Chapitre 16, Vrai et Faux.
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