jeudi 6 avril 2017

Fou Furieux


故身雖疾而心自暇*
Par conséquent le cœur reste naturellement paisible même si le corps est véloce

故以神為主,形而從利。以形為主,神而從害**
Par conséquent, quand l’esprit prend le contrôle, le corps suit pour son bien. Quand le corps prend le contrôle, l’esprit suit pour sa perte.

電挈昆吾晃太陽***
Maniant à la vitesse de l’éclair, Kunwu brandit le Grand Yang.




Il existe une légende urbaine à propos de soldats japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, capables pendant qu’ils chargeaient de résister aux tirs de fusils jusqu’à ce qu’ils aient atteint leurs adversaires et les aient tués. Alors seulement ils mourraient. Si la Révolte des Boxeurs nous a appris à être extrêmement prudents avec des histoires de prouesses semblables accomplies par les arts martiaux asiatiques contre les armes modernes, cette légende demeure intéressante parce qu’elle parle d’un résultat recherché quand on s’entraîne rapidement et en étant frénétique, oublier son corps.
Un tel phénomène peut être constaté chez les animaux, le poulet continuant à courir une fois sa tête coupée ou la tête de serpent sectionnée toujours capable de mordre. Pour les arts internes, l’idée est de laisser son esprit prendre le contrôle total, le corps contraint de suivre jusqu’à l’épuisement ou la mort. Nul besoin de dire que ce type d’entraînement était et est uniquement réservé aux adolescents en parfaite forme en raison du stress extrême qu’il impose au corps. Il était souvent pratiqué en dernier parce que la respiration devait rester sous contrôle, ce qui est une maîtrise très difficile à obtenir. Par ailleurs, il existait différents moyens d’atteindre un tel état, l’un étant le fameux mode berserk des pratiques anormales. Par conséquent, il semble nécessaire d’insister de nouveau sur les méthodes particulières que les pratiques internes utilisaient pour atteindre la frénésie et leur différence avec les autres méthodes. Il est aussi nécessaire de comprendre et ce qui était recherché par cette pratique, oublier son corps.




Même Frénésie, Différentes Méthodes

Il est très important de comprendre que beaucoup d’arts martiaux tendent à chercher des qualités semblables mais utilisent différentes méthodes pour atteindre leurs buts, chacune ayant ses propres avantages et inconvénients.
Pour atteindre la frénésie, il fallait pousser son corps au-delà de ses limites, donc ce type d’entraînement était réservé à des adolescents, les adultes pouvant se blesser très facilement et la période de récupération, qu’elle provienne de ce type d’entraînement ou d’une blessure,prenant plus de temps pour ces derniers. Il existe des moyens différents d’atteindre un tel état, certains plus connus que d’autres. Pour faire simple, comparons les deux opposés, se vider de ses émotions ou les utiliser. De nos jours, dans le monde des loisirs, les deux méthodes sont souvent mélangées, utilisant l’une ou l’autre selon la situation, comme essayer de rester calme pour évite une confrontation mais utiliser, entre autres, la colère si l’on vient à se battre. Par conséquent, la plupart des personnes s’entraînant aux arts martiaux de nos jours ont des notions à propos du contrôle du rythme cardiaque par la respiration et du laisser-aller des émotions pour devenir totalement furieux, en laissant donc le rythme cardiaque totalement hors de contrôle. De telles méthodes semblent assez logiques après tout, comment quelqu’un pourrait atteindre la frénésie tout en demeurant totalement calme ? Etre calme mais frénétique est un autre paradoxe.
Pour les pratiques internes, devenir frénétique n’est pas une question de rester calme ou pas mais concerne la vitalité et sa circulation. Par conséquent, si les émotions ont effectivement un impact évident sur notre force, la colère et l’excitation l’augmentant alors que la douleur la diminue, c’est l’impact sur la circulation de la vitalité qui crée un tel effet. Simplement dit, la colère augmentera la circulation tandis que la douleur la réduira. Évidemment, ceci est fait grâce aux organes, les émotions ayant sur eux un effet immédiat (pensez à la douleur dans l’estomac quand les émotions sont trop fortes). Les émotions sont juste une autre façon de mobiliser les organes. Dans les pratiques internes on utilise la technique du voleur qui épie pour apprendre comment mobiliser ses organes sans utiliser les émotions et aller aussi vite que possible pour atteindre la frénésie est seulement l’étape suivante d’un tel entraînement en bougeant aussi vite que si on était sur le point d’être repéré et qu’on devait aller derrière le mur en un instant.

L’avantage qu’apporte la vitesse dans le combat est évident, mais s’entraîner de façon aussi rapide que possible va au-delà de la simple vitesse, c’est, notamment, un moyen d’apprendre comment oublier son corps.


Frénétique et Incorporel

Une fois encore, les émotions fortes peuvent avoir le même effet, celui d’oublier totalement son corps et ses limitations (même si elles sont encore là, bien sûr), l’idée étant de le pousser dans ses retranchements. Utiliser ses émotions est un processus très consommateur, l’épuisement venant juste après l’explosion. Et même si rester calme tout en étant frénétique est moins consommateur, le corps étant peut-être capable de supporter l’effort plus longtemps, l’épuisement vient aussi à terme. En conséquence on a de nouveau la principale différence entre l’entraînement, pendant lequel l’épuisement est un résultat recherché afin de pousser de plus en plus loin ses limites, et le combat, pendant lequel une version atténuée d’une telle frénésie sera utilisée afin d’être en mesure de durer le plus longtemps possible.
Les entraînements jusqu’à l’épuisement sont courants dans les arts martiaux, plus particulièrement adaptés aux enfants et aux adolescents pour influencer leur croissance, rendant leur corps plus fort et plus endurant. Tous n’étaient pas liés à la vitesse, ce type d’entraînement en étant seulement un parmi d’autres, certains utilisant des poids ou des postures très basses par exemple. La vitesse, être frénétique, était juste une façon de faire progresser l’étudiant(e), celui (celle)-ci n’étant plus conscient(e) de son corps, de le/la pousser jusqu’à ce qu’il/elle finisse par ramper, ses jambes n’étant plus capables de supporter aucun effort. Nul besoin de dire qu’un tel exercice n’est pas pour des adultes ayant un entraînement de loisir et sans supervision, l’épuisement ayant de lourdes répercussions sur le corps et les chances de se blesser très élevées.




S’entraîner à différentes vitesses était une façon de permettre aux étudiants d’acquérir différentes qualités. Toutefois toutes ces qualités, évidemment, en devenaient une seule pendant le combat et s’adaptaient d’elles-mêmes aux besoins de l’endurance et de la rapidité.




*Canons du Divin Mouvement, second paragraphe gauche (au-dessus), A propos du divin mouvement du corps 神運經右(上)第二章,言神運之體
**Le Corps Contient la Vie, les Vapeurs en Sont le Fondement 形為命之舍,氣為命之根.

*** Manuel d’Epée Ancienne, 古劍譜. Kunwu, 昆吾, est le nom d’un escrimeur. 太陽 se réfère au moins à 足太陽經, l’Extrême Yang du Pied, que ce soit les fascias ou le parcours des vapeurs, mais peut être étendu à手太陽經, ceux de la main. On pourrait dire beaucoup à propos de cette phrase, parce que 晃太陽 peut aussi être traduit comme le soleil scintillant, sans parler du fait qu’il doit être comparé avec "雙鋒貫耳擺太陽" les deux pointes acérées perçant les oreilles, agitant le Grand Yang, dans un texte qui y est associé. Une explication simple, puisque l’Extrême Yang du Pied va des pieds à la tête, est que l’escrimeur devrait être capable de faire balancer son épée des pieds à la tête en un instant.



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