vendredi 19 janvier 2024

Glacial


惟真陽以禦之,則蒸然流遍大千
Parce que le Masculin Authentique s’en prémunit ; étuvé, il s’écoule alors naturellement sans limites partout et en tous lieux.




Le texte explique ensuite comment on devient insensible au froid dans une phrase, comme d’habitude, assez obscure, où il est question de « Masculin Authentique » et d’étuvage. 氣 ayant le sens de vapeurs, l’utilisation du caractère pour cuire à la vapeur semble logique. On peut tout de même se demander pratiquement comment entraîner sa résistance au froid. Ce billet se propose d’explorer quelques-unes des pistes de recherche auxquelles le texte conduit, plus une autre concernant le type d’entraînement lié à la résistance au froid.
La première phrase fait référence à un thème commun en médecine chinoise, le Masculin Authentique (généralement dans les reins), tandis que la seconde décrit le processus de vaporisation, supposé se produire dans ces organes particuliers, et ses conséquences.




I. Fort et Masculin

À partir d’une traduction conventionnelle, on ensuite peut explorer plus avant certains des caractères utilisés.

1.1 Première Lecture
真陽, le Masculin Authentique, fait généralement référence au Masculin originel inné et au rein droit. Il est normalement mélangé avec le Féminin Authentique, l’autre rein, pour produire des vapeurs. Plus simplement, le Masculin Authentique est de la chaleur pure, garder le corps au chaud étant la solution la plus évidente pour lutter contre le froid.
禦, signifie clairement dans ce cas 禦寒, c’est-à-dire « se défendre contre le froid » ou plus simplement « se réchauffer ».
Il s’agit donc d’apprendre à créer de la chaleur dans le corps, en mettant l’accent sur les reins comme moyen d’y parvenir. Le texte va plus loin puisqu’il considère qu’il s’agit du seul outil efficace pour y arriver.

1.2 Autres Significations
a. 真
L’un des sens de 真 est « réel », comme dans 真實, qui s’oppose à 虛假. En médecine traditionnelle chinoise, on trouve le concept de 虛實 vrai-faux ou plein-vide. Il est appliqué dans les pratiques internes comme moyen de définir si l’on se situe dans un cercle vertueux ou vicieux. Pour ne pas entrer dans des détails inutiles et compliqués, il convient de commencer par une explication très simple. Comme toute simplification, elle ne sera pas totalement exacte. Elle vise néanmoins à donner une idée de base à ceux qui s’entraînent et souhaitent se servir de ce concept. Le meilleur exemple est celui de l’eau, véritable Féminin. L’eau est l’une des incarnations du principe féminin, mais toutes les eaux ne sont pas bonnes. Ainsi, l’eau minérale serait un véritable Féminin, l’eau distillée un Féminin vide et l’eau empoisonnée un faux Féminin.
Le Masculin Authentique, dans le contexte de la citation, fait principalement référence à la chaleur (il fait froid, il faut réchauffer son corps, simple logique). La véritable chaleur serait celle qui résulte de la mobilisation des organes, l’exercice physique étant le moyen le plus connu de le faire, la chaleur vide viendrait de la nervosité (comme l’épuisement ou l’anxiété) et la chaleur factice serait la fièvre. En effet, l’excitation et le stress entraînent la fatigue et la fièvre ne rend pas insensible au froid, bien au contraire.
La première partie de la citation indique donc simplement que la résistance au froid découle d’un échauffement du corps, mais pas d’un réchauffement quelconque, celui qui provient d’organes sains et détendus.
b. 惟
L’une des significations originelles de 惟 est « réfléchir ». Un sens élargi possible serait qu’il faut réfléchir au Masculin Authentique, une compréhension qui mène à la capacité de lutter contre le froid. Cependant, l’utilisation de 惟 au sens de « seul », au lieu de son synonyme 唯, peut indiquer l’importance du cœur. On peut en effet penser à la phrase « 心為君火,肾為相火。心有所動,肾必應之 », le cœur est le monarque du feu, les reins son ministre, tout mouvement du cœur se répercute très certainement dans les reins. Ainsi, si la création de vapeurs se fait généralement par l’exercice physique, certaines techniques respiratoires centrées sur le cœur peuvent permettre d’atteindre des prouesses similaires.

Le texte poursuit en soulignant la nécessité de produire des vapeurs, la cuisson à la vapeur étant une référence directe.




II. Étuvage

Une fois de plus, à partir d’une compréhension conventionnelle, on peut explorer plus avant certains des caractères utilisés.

1.1 Première Lecture
Le processus de création de vapeurs a été expliqué à maintes reprises dans ce blog. Les reins sont considérés comme l’un des organes les plus importants pour celui-ci, d’où la présence de la « Porte de Vie1 » entre eux. Cependant, d’autres organes produisent également de la chaleur et des vapeurs. Il ne faut jamais prendre un texte au pied de la lettre lorsqu’il s’agit de pratiques dont la pierre angulaire est le changement. En effet, ils fournissent une idée générale et une méthode, ils ne sont pas là pour donner des règles strictes mais pour aider à la découverte par soi-même.
De plus, le texte précise que la chaleur doit être omniprésente, c’est-à-dire qu’elle doit atteindre toutes les parties du corps, d’où l’impossibilité d’avoir les mains ou les pieds froids.

1.2 Significations Supplémentaires
a. 蒸
Il est intéressant de noter que 蒸 est aussi une façon d’insister sur l’idée de protection introduite dans la première phrase par 禦. En effet, une écriture plus ancienne de 蒸 est 烝, sans le radical pour herbe, qui peut être compris dans le sens d’assister, 丞, le feu, 灬. Assister est d’ailleurs le thème de citation dans 1.2 b en ce qui concerne les reins.
b. 流遍大千
流遍 signifie déjà couler partout tandis que 大千 est en fait un terme bouddhiste2 désignant un chiliocosme.
流 peut aussi signifier se répandre, flotter, circuler, dériver, errer, toutes sortes de sens qui peuvent souligner la nécessité pour la chaleur créée dans les reins (pour le moins, voir le premier chapitre) de se disséminer dans tout le corps.
遍 pourrait être vu comme une autre référence indirecte à un terme bouddhique, 遍行, apportant l’idée d’omniprésence.
大千 semble aller un peu exagéré pour le moins, une tendance qu’ont les pratiquants d’arts martiaux lorsqu’ils décrivent leur art. On pourrait y voir une allusion à une autre énigme à résoudre, mais ce serait tout à fait en dehors des questions traitées dans le présent billet.

Quoi qu’il en soit, tout cet abus de superlatifs est, pour le moins, destiné à mettre l’accent sur le fait que la chaleur créée doit se disperser dans chacune et toutes les parties du corps.




Si la citation donne une méthode de base pour produire de la chaleur afin de se prémunir contre le froid, on peut s’interroger sur les exercices plus spécifiques qui auraient pu être liés à une telle prouesse, le prochain billet.




1. Ayant également le titre de « ministre du feu ».
2. Les arts martiaux faisant partie de ce que l’on peut appeler la culture populaire, ils prennent naturellement, avec plus ou moins de succès, des expressions de partout. Après tout, le détournement est l’une de leurs méthodes d’étude favorites. Ainsi, l’utilisation d’un terme bouddhiste sera plus considérée comme un emprunt que comme une référence directe à celui-ci.

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